Le premier ministre se dit prêt à quitter le pouvoir avant la fin octobre en faveur d’un nouveau gouvernement issu des pourparlers interlibyens.
Un vent de démissions souffle-t-il sur la Libye? Dans une allocution retransmise à la télévision, Fayez al-Sarraj, premier ministre du Gouvernement d’union nationale (reconnu par la communauté internationale) a annoncé mercredi soir son intention de démissionner fin octobre. Le 13 septembre, le chef du gouvernement parallèle, basé dans l’Est libyen, Abdallah al-Thini avait remis sa démission au Parlement. Les deux dirigeants continuent à gérer les affaires courantes alors que des manifestations ont touché plusieurs villes ces dernières semaines face à la détérioration des conditions de vie.
Dans cette vidéo pré-enregistrée, Fayez al-Sarraj, nommé après les accords de Skhirat signés sous l’égide de l’ONU en décembre 2015, évoque son «désir sincère de confier ses fonctions à une nouvelle autorité au plus tard en octobre prochain.» Les optimistes y voient un soutien direct aux pourparlers lancés depuis quelques semaines entre les factions de l’Est et de l’Ouest, divisées politiquement et militairement depuis l’été 2014. La dernière réunion, celle de Montreux (Suisse) début septembre, a en effet conclu en la nécessité d’organiser des élections présidentielle et parlementaires d’ici à 18 mois. En attendant, un «gouvernement d’unité représentatif» doit être mis en place. Avec la démission récente d’Abdallah al-Thini, le concurrent-homologue de l’Est de Sarraj qui était en poste depuis 2014, la place semble désormais libre pour un nouveau gouvernement qui dirigerait l’ensemble du territoire.
Un échec cinglant
Jalel Harchaoui, chercheur à l’institut Clingendael à La Haye, note cependant: «Trouver un nouveau premier ministre va être très difficile. Cet événement Sarraj est un dos-d’âne sur la route alors que les canaux de communication ouverts récemment entre les acteurs internationaux et notamment l’Égypte, la Russie (deux soutiens du camp de l’Est, NDLR) et la Turquie (alliée à l’Ouest) ont donné à l’ONU la possibilité de mener de nouvelles négociations.»
D’ailleurs, les Libyens semblent sceptiques. «Thini a démissionné 50 fois déjà! Et quand il ne démissionne pas, on ne le voit jamais. Je n’y croirais que lorsqu’il aura été remplacé. Quant à Sarraj, ce n’est pas lui qui gouverne à l’Ouest, ce sont les milices !», s’agace Mohammed, habitant de Benghazi, capitale de l’Est libyen, joint par téléphone. Naji Abou-Khalil, directeur du projet Libye pour la fondation Nouria, se montre également prudent: «La démission de Fayez al-Sarraj est plutôt une preuve de faiblesse et probablement un pari sur les lenteurs des négociations. Il absorbe ainsi la colère populaire et se met hors jeu officiellement, tout en restant au pouvoir, le temps que la pression baisse.»
L’analyste rappelle que les manifestations qui ont eu lieu récemment dans l’Ouest libyen visaient en partie Sarraj, dont plusieurs proches sont cités dans des affaires de corruption. Le premier ministre a également vu ses soutiens chez les brigades tripolitaines faiblir alors que son ministre de l’Intérieur, Fathi Bashagha, gagnait en influence auprès de la population et de la communauté internationale. Le Misrati, suspendu par Fayez al-Sarraj suite à des violences durant les manifestations, a finalement été réintégré. Beaucoup y ont vu un échec cinglant pour Sarraj qui n’a jamais su s’imposer à la tête de l’État libyen. «D’ailleurs la démission de Fayez al-Sarraj a suscité peu de réactions à l’international (jeudi après midi, l’ONU n’avait pas encore réagi, NDLR). Il y a une forme d’ignorance délibérée», juge Naji Abou-Khalil.
LE FIGARO