La solution à deux Etats reste la seule solution réaliste au conflit israélo-palestinien, relève le chef de l’opposition israélienne dans une tribune au « Monde », dénonçant toute annexion unilatérale en Cisjordanie.
L’annexion unilatérale d’une partie de la Cisjordanie est une mauvaise idée, qui n’est d’ailleurs même pas mentionnée dans le plan Trump [dévoilé en janvier]. Je faisais partie de l’équipe qui a travaillé sur ce plan de paix élaboré par les Américains. Je sais donc de quoi il en retourne. L’annexion unilatérale est un contresens au regard de l’idée directrice qui préside au plan Trump. Nétanyahou n’a retenu de ce dernier que ce qui lui plaisait et tente d’en promouvoir une lecture biaisée.
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Dans la première mouture du plan américain, l’extension de souveraineté israélienne à la vallée du Jourdain et aux principaux blocs d’implantations faisait partie intégrante d’un processus qui devait aboutir à la coexistence de deux Etats – un Etat palestinien démilitarisé, et l’Etat d’Israël soustrait à la menace du terrorisme islamiste. Dans une certaine mesure, Donald Trump a réussi là où d’autres présidents américains avaient échoué. En janvier 2020, à l’occasion d’une cérémonie officielle à la Maison Blanche, il a en effet réussi à convaincre Benyamin Nétanyahou de renouer avec la solution à deux Etats que ce dernier avait endossée lors de son allocution prononcée à l’université Bar-Ilan de Tel-Aviv, le 14 juin 2009. Depuis, le premier ministre israélien fait tout ce qui est en son pouvoir pour revenir sur cet engagement. Son plaidoyer en faveur d’une annexion unilatérale en est l’illustration.
C’est au nom de leur rejet du plan Trump que les Palestiniens ne veulent pas entendre parler d’annexion. Je suis également opposé à l’annexion, mais précisément en raison de mon adhésion à l’esprit qui préside à l’initiative américaine. La solution à deux Etats demeure la seule solution réaliste au conflit israélo-palestinien.
Amalgames idéologiques
L’Europe a vivement protesté contre ce projet d’annexion. Parmi les nombreuses critiques qui ont été adressées aux Israéliens, certaines étaient difficiles à entendre. J’accepte qu’il en soit ainsi. Entre amis, on a le droit – et parfois le devoir – d’exprimer un désaccord, fût-il vif. C’est d’ailleurs ce que j’ai dit aux dirigeants et diplomates européens avec lesquels j’ai discuté de ce sujet. Mais il faut cependant distinguer la critique légitime des amalgames idéologiques qui ont pour objectif de mettre Israël au ban de la communauté des nations. Deux lignes rouges ont de ce point de vue été franchies.
La première, ce sont les tentatives de récupération politique qui se sont multipliées lors des manifestations antiracistes qui ont eu lieu dans le monde à la suite de la mort tragique de George Floyd, le 25 mai. Manifester pour une cause juste est une chose, entretenir les amalgames au mépris des faits en est une autre. Le conflit israélo-palestinien n’a rien à voir avec cette insoutenable tragédie.
Ce n’est pas par plaisir qu’Israël continue à se charger du contrôle sécuritaire de la Cisjordanie, pas plus qu’il ne s’agit là d’une forme contemporaine de colonialisme. Renoncer à exercer ce contrôle en l’absence d’une véritable paix reviendrait tout simplement à mettre la vie de mes concitoyens en danger. Les diverses incarnations radicales du terrorisme islamiste n’ont jamais fait mystère de leur ambition de « rayer Israël de la carte ».
C’est faire injure aux victimes du racisme que d’établir une comparaison entre elles et ceux qui soutiennent le terrorisme. Israël s’est retiré de la bande de Gaza en 2005. Mes concitoyens ont subi plus de 15 000 tirs de roquettes lancés depuis ce territoire par des groupes armés palestiniens en guise de réponse au geste historique du premier ministre Ariel Sharon. Je défends une solution à deux Etats, mais personne n’a le droit d’exiger que nous cédions le contrôle de notre sécurité à ceux qui veulent nous éliminer. La création d’un Etat palestinien n’est possible que si celui-ci recherche activement la paix et se montre capable de lutter efficacement contre le terrorisme islamiste émanant de son territoire. Il s’agit là d’une demande élémentaire mais fondamentale et c’est aux Palestiniens d’apporter la preuve qu’ils sauront y satisfaire.
Ni l’Iran ni la Corée du Nord
La seconde ligne rouge à avoir été franchie est celle des sanctions dont on menace Israël. Israël n’est ni l’Iran ni la Corée du Nord. Nous assimiler à ce type de dictatures est une pure folie et une imposture. La Corée du Nord est la plus grande prison à ciel ouvert dans le monde, et l’Iran le plus grand pourvoyeur de terrorisme à l’international. Quel rapport avec Israël, une démocratie qui lutte pour sa survie dans des conditions d’une incroyable difficulté ?
Les sanctions atteindraient l’effet inverse de ce qui est recherché par l’Europe. Le raisonnement des Palestiniens serait, encore une fois, le suivant : pourquoi reprendre les négociations alors que nos amis européens se chargent de défendre nos intérêts à notre place en mettant Israël sous pression ? Sur le plan économique, les sanctions n’auraient en outre qu’un effet limité puisque ni les Etats-Unis, ni la plupart des pays d’Asie ne les appliqueraient. En revanche, l’Europe se retrouverait marginalisée et incapable d’exercer une quelconque influence sur le conflit israélo-palestinien.
L’application de sanctions viendrait en outre renforcer l’extrême droite israélienne, qui prétend depuis longtemps que nous ne devrions pas écouter nos amis européens pour la simple et bonne raison qu’Israël n’aurait pas d’amis au sein de la communauté internationale. Ce slogan est tiré d’une lecture biaisée et décontextualisée du livre des Nombres [quatrième livre de l’Ancien Testament], chapitre XXIII, verset 9 : « Je vois un peuple qui demeure à l’écart et ne se range pas au nombre des nations. » L’Europe doit se garder de renforcer cette vision xénophobe et dangereuse.
Israël écoute l’Europe parce qu’elle a des choses pertinentes à lui dire et en raison de notre partenariat économique et de nos valeurs communes. Pour Israël, l’Europe et la France en particulier sont des acteurs majeurs de la scène internationale et des acteurs historiques au Moyen-Orient. En tant qu’opposant à l’annexion, il m’importe de faire entendre la voix de l’Europe auprès de mes compatriotes. Mais ceux qui envisagent le recours à des sanctions doivent garder à l’esprit que l’Europe cesserait par là même d’exercer une quelconque influence dès lors qu’elle prendrait fait et cause pour une partie aux dépens d’une autre. Elle montrerait ainsi son incapacité à comprendre la complexité de ce conflit centenaire.
(Traduit de l’anglais par David Khalfa et Arnaud Prêtre.)
Yaïr Lapid est député de la Knesset, chef de l’opposition israélienne