Alors que l’annexion de la vallée du Jourdain par Israël semble imminente, Abdallah II hausse le ton.
Vingt et un ans après avoir accédé au trône à la mort de son père, le roi Hussein, Abdallah II est confronté à l’une des décisions les plus difficiles qu’il ait eu à prendre: comment réagir à l’annexion de la vallée du Jourdain que le gouvernement israélien annonce comme imminente?
Une telle mesure unilatérale enterrerait définitivement toute perspective de création d’un État palestinien sur la rive occidentale du Jourdain ainsi qu’à Jérusalem-Est. Or le royaume hachémite exerce un droit de regard sur les lieux saints musulmans de Jérusalem, et il compte surtout sur la naissance d’un État palestinien pour alléger le fardeau que fait peser depuis des décennies la présence de millions de réfugiés palestiniens. Sans compter qu’une telle annexion ferait planer le danger d’une nouvelle flambée de violence en Cisjordanie occupée, avec d’éventuelles retombées à Amman. Bref, on comprend aisément pourquoi la Jordanie a été le pays arabe le plus virulent pour dénoncer le «plan de paix» présenté par Donald Trump en février, qui entérine de fait cette annexion de la vallée du Jourdain.
«Nous envisageons toutes les options»
À l’approche de celle-ci, le monarque a haussé le ton dans une interview à l’hebdomadaire allemand Spiegel. «Si Israël annexe la vallée du Jourdain en juillet, cela aboutira à un conflit majeur avec le royaume hachémite, a menacé Abdallah. Nous envisageons toutes les options, (…) la loi du plus fort ne doit pas s’appliquer au Moyen-Orient», a renchéri le roi, dont le pays est pourtant l’un des plus fidèles alliés des États-Unis au Moyen-Orient, en même temps qu’un des deux seuls – avec l’Égypte – à avoir signé la paix avec l’État hébreu, en 1994.
Quelles sont ses options? Révoquer le traité de paix? S’en détacher partiellement? Ou s’agit-il plus modestement de rallier l’Europe au moment où celle-ci prépare «une réponse commune» à Israël? En Jordanie, des ministres et des généraux ont appelé à une abrogation du traité de paix. «Le mieux serait que la Jordanie résilie le traité de Wadi Araba, et cela impliquerait également l’annulation des accords économiques, militaires et sécuritaires» avec Israël, a ainsi souhaité le général Mamoun Abou Nawar, ancien pilote d’aviation.
Mais selon une source proche du roi à Amman, «Abdallah n’abrogera pas l’accord de paix avec Israël». Revenir à un état de guerre avec l’État hébreu ne semble pas une option. Amman, en proie à une crise économique sévère, a besoin de l’aide financière de Washington (1,3 milliard de dollars en 2019).
En revanche, confie cette source au Figaro, «le roi peut rappeler son ambassadeur à Tel-Aviv et surtout réduire le niveau de coordination avec Israël. Le comité militaire israélo-jordanien se réunit chaque jour sur la frontière. Nos services de renseignements ont des connexions étroites avec le Mossad. Et ce que nous leur donnons est plus important que ce qu’ils nous donnent. Nos services savent ce qui se passe en Syrie voisine et de l’autre côté de notre frontière avec l’Irak.» Bref, Amman pourrait restreindre sa coopération sécuritaire avec Tel-Aviv, afin de faire comprendre que le rôle traditionnellement dévolu à la Jordanie – glacis de sécurité de l’État hébreu sur son flanc est au-delà du Jourdain – n’est pas acquis à vie.
Abdallah insiste sur le respect de la loi internationale. «Nous attendons des Européens qu’ils adoptent une position commune, basée sur le respect du droit international, et qu’ils concluent que la vallée du Jourdain est un territoire occupé», affirme la source jordanienne.
«L’arme de l’eau»
Si à Amman, on rappelle que le traité de paix avec Israël stipule que «tout geste unilatéral doit être préparé par des consultations entre les deux pays», on hésite, toutefois, à abroger, en riposte, certains articles du texte. «Nous avons un problème sur l’eau avec Israël, qui a pris l’habitude de réduire la part de l’eau qu’ils doivent nous céder sur le Jourdain, explique un universitaire jordanien. Le problème, c’est que si on abroge certains articles du traité, Israël pourrait encore durcir cette arme de l’eau contre nous.»
En revanche, la Jordanie est, aujourd’hui, moins dépendante de l’État hébreu pour son approvisionnement en gaz. Avant les révoltes arabes de 2011, 80 % du gaz venait d’Égypte. «Quand les Frères musulmans sont arrivés au pouvoir au Caire, rappelle la source proche du roi, on a assisté à une quinzaine d’attaques contre le gazoduc qui nous approvisionnait. Le pouvoir islamiste accusait des terroristes, mais nous avons su que c’étaient eux qui cautionnaient ces attaques pour mettre la Jordanie à genoux et renforcer leurs alliés islamistes jordaniens, qui auraient aimé prendre le pouvoir chez nous. Dès lors, nous avons dû nous retourner vers Israël, mais maintenant que l’Égypte n’est plus aux mains des Frères, on est moins dépendant d’Israël.»