CITOYENNETÉ
Pour une égalité civique et une communauté culturelle islamo-chrétienne sur toute l’étendue du monde arabe, loin de « l’alliance des minorités ».
Les chrétiens diminuent en nombre dans tous les pays arabes du Moyen-Orient. Au cours de la dernière décennie, avec l’instauration de « l’État islamique » par un calife autoproclamé, et la lutte planétaire pour l’éliminer, leur nombre a dramatiquement reculé dans des pays comme l’Irak et la Syrie. Certains investissent dans cette « grande peur des chrétiens » pour leur présence en Orient, pour se poser en « protecteurs » de cette présence, capitalisant sur l’intériorisation de leur différence par les chrétiens, pour en faire des entités aux aspirations politiques distinctes de celles des sociétés où ils vivent. C’est contre toutes ces récupérations culturelles ou politiques qu’un congrès d’un jour, le « Premier congrès des chrétiens arabes », vient de se tenir à Paris, en présence d’une centaine de participants du monde culturel, social, médiatique et politique, venus de plusieurs pays arabes, notamment des opposants syriens. Le Quai d’Orsay a donné son accord à ce congrès, et s’y est fait représenter par Jean-Christophe Augé, diplomate rattaché au ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, longtemps en poste à Beyrouth, tandis que le Vatican y assistait en observateur et y déléguait le nonce apostolique en France, Mgr Andrea Ferrante.
Les chevilles ouvrières de ce congrès, qui se prépare depuis plus de six mois, sont l’ancien député Farès Souhaid et Radwan el-Sayyed, qui représente aussi la grande institution sunnite d’Égypte, al-Azhar. Le centre Roi Abdallah pour le dialogue des cultures, basé à Vienne, y a également joué une part. L’évêché maronite de France y était représenté par un observateur.Pour Farès Souhaid, « il est tout à fait naturel, à ce grand tournant de l’histoire où un nouvel ordre régional s’instaure, d’afficher un choix politique réfléchi et de se positionner par rapport aux divers projets régionaux qui se proposent comme alternative à l’ordre ancien ».
Le congrès veut, en particulier, se démarquer des projets politiques ou culturels du type « alliance des minorités face à une majorité sunnite », ou du concept de « minorités à protéger », tel que développé par l’ONU, ou encore de la tendance à forger de nouveaux regroupements régionaux à l’image de ce qu’on fait les promoteurs du récent « Congrès des chrétiens du Machrek », base géographique d’une identité qui se poserait comme distincte de « l’identité arabe » commune.
Le communiqué final du congrès défend « une arabité qui est un lien culturel et de civilisation dont le fondement est la langue arabe et un régime d’intérêts communs dans le cadre de la Ligue arabe, loin de toute identité religieuse et raciale et de tout projet politique hégémonique ».
Le projet défendu par le premier congrès des chrétiens arabes se résume en deux points, précise pour L’Orient-Le Jour Farès Souhaid : « L’instauration d’États de nature civile, sur toute l’étendue des pays de la Ligue arabe et une séparation claire entre les deux sphères de la politique et de la religion. Les chrétiens y seraient des citoyens à part entière de leurs “patries définitives” sur toute l’étendue du monde arabe. »
Fidélité à l’idée du Grand Liban
Ce faisant, souligne en substance l’ancien parlementaire, le congrès reste fidèle au choix pris à la naissance du Grand Liban, à l’issue de la Première Guerre mondiale, quand il a refusé la création d’un État refuge, malgré tous les massacres dont avaient été victimes les Arméniens ou les Assyriens et les Syriaques, et choisi l’État de la citoyenneté, de l’égalité civique librement consentie, dans une pleine communauté culturelle.
La présence de Radwan el-Sayyed aux côtés de Farès Souhaïd donne au congrès cette dimension de partenariat islamo-chrétien qui a servi de fondement à l’édifice libanais. Le document final du congrès se réfère explicitement à la Déclaration d’al-Azhar (2017) et le Document sur la fraternité humaine (2019) signée par le Vatican et al-Azhar à Abou Dhabi, et où le concept de la citoyenneté prend définitivement le dessus sur celui de l’appartenance religieuse, comme référence sur le plan étatique.
Au passage, M. Souhaid fait l’apologie de l’accord de Taëf au Liban qu’il considère, dans son ensemble, comme un modèle de ce que serait un État qui accorde leurs droits aux citoyens et aux communautés, grâce à son système bicaméral.
Un comité de suivi a été formé à l’issue du congrès qui compte notamment Michel Kilo, Georges Sabra, Samira Moubayed, Ayman Abdelnour, Élie Hage, Fida’ Hourani, Fayçal Nazem Coudsi, Hassan Mneimné, Widad Jarbouh, Saad Kiwan à côté bien sûr de Farès Souhaïd et Radwan el-Sayyed.