On pourrait se demander ce que la spiritualité viendrait faire en éco et géopolitique globales. Comment interpréter la rencontre à huis clos qui vient d’avoir lieu durant deux jours à la Villa Pia, siège de l’Académie pontificale des sciences (APS), au Vatican, à l’initiative de la Notre Dame University-Mendoza College of Business (Indiana). Ce séminaire a permis à Mgr Marcel Sanchez Sorrondo, directeur de l’APS, de faciliter le dialogue entre d’éminents scientifiques, membres de l’académie, et les hommes les plus puissants de la planète en matière économique et financière, ceux qui en réalité peuvent faire plier les gouvernements si nécessaire, notamment ceux du G20.
Parmi ce très beau monde, reçu par le pape François le 9 juin dernier, on notait la présence des CEO (PDG) de : Exxon Mobil Oil, British Petroleum, Royal Dutch Shell, Equinor (ex-Norwegian Statoil), Permex, mais aussi certaines figures inattendues comme Larry Fink, PDG de BlackRock, le fonds d’investissement le plus important du monde qui gère des portefeuilles globaux d’un montant de 6 000 milliards de dollars. Le titre significatif de cette conférence, « Transition énergétique et soins de notre maison commune », plaçait d’emblée les débats dans une perspective d’écologie globale selon la compréhension que donne à cette notion l’encyclique Laudato si’ récemment publiée.
Le climat général de ces rencontres romaines peut être résumé par l’avertissement que le pape François a lancé dans son allocution : « La civilisation a besoin d’énergie, mais l’énergie ne doit pas détruire la civilisation. » Le fait qu’une telle rencontre ait pu avoir lieu au Vatican indique que la transition d’une culture de faire de « bonnes affaires » à une culture de faire des « affaires bonnes » nécessite un dialogue où science, éthique et recherche du bien commun tentent de se comprendre dans le souci permanent de construire l’avenir.
Est-ce à dire que l’Église s’est convertie à l’idéologie holiste de l’écologie « verte » contemporaine ? Au nom de la nature, le discours écologique actuel voit dans l’homme un prédateur de ce super-être la Terre, l’antique déesse Gaïa, vue comme un organisme autorégulé et vivant, dont l’harmonie est en permanence victime de l’activité humaine. On culpabilise l’homme vis-à-vis d’un ordre naturel quasi divin qui l’écrase, au lieu de le responsabiliser à l’égard, non de Mère Nature, mais de notre compagne de toujours dans le champ historique de l’existence. Dans l’optique d’une vision chrétienne du monde, l’idée de nature renvoie à une Création, à un ensemble de réalités multiples interconnectées au sein d’un univers articulé par des lois régulières, qu’on appelle cosmos.
Dès 1989, le patriarche œcuménique de Constantinople avait décrété le 1er septembre, date du début de l’année liturgique orthodoxe, comme Journée de prière pour la Création. Depuis, l’Église de Constantinople n’a cessé d’organiser de multiples actions en ce sens. Ce faisant, elle rappelle un des traits de la spiritualité de l’Orient chrétien, le souci holiste du cosmos, qu’on retrouve dans la vision de saint Maxime le Confesseur (590-662) qualifiée de liturgie cosmique par Hans Urs von Baltazar (1905-1988), ou encore dans la spiritualité du grand mystique saint Isaac de Ninive dit le Syrien (660-880) et son « cœur miséricordieux qui brûle d’amour pour la Création tout entière, et toutes les créatures », préfigurant ainsi saint François d’Assise et son poème Laudato si’ auquel le Pape emprunte le titre de son encyclique où il cite explicitement le mystique musulman soufi du XVIe siècle Ali al-Khawwas.
En assumant l’écologie globale au travers de ses puissantes institutions, l’Église de Rome montre bien qu’elle corrige une certaine vision de l’écologie en la recentrant sur l’homme et non sur l’automate mécanique qu’est la Terre. Un tel dialogue est en soi une révolution dont nous ne mesurons pas encore les conséquences lointaines. Deux enjeux majeurs semblent se profiler. D’une part, une nouvelle lecture du fameux verset de la Bible : « Dieu leur dit : soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la » (Genèse 1:28). D’autre part, le fait qu’il serait salutaire d’abandonner l’idée d’une nature idolâtrée et des certitudes d’experts scientifiques qu’elle véhicule comme substitut du politique et de la recherche du bien commun.
La récente conférence du Vatican s’inscrit parfaitement dans la mutation que l’Église de Rome opère en son sein depuis quelques années. Remettant l’homme au centre de la réflexion, comme gardien et jardinier de la Création, elle se métamorphose en pivot géostratégique global et réintroduit l’exigence morale dans la recherche d’une nouvelle forme de gouvernance mondiale qui amplifierait le rôle des Nations unies.
En assumant l’écologie globale au travers de ses puissantes institutions, l’Église de Rome montre bien qu’elle corrige une certaine vision de l’écologie en la recentrant sur l’homme et non sur l’automate mécanique qu’est la Terre. Un tel dialogue est en soi une révolution dont nous ne mesurons pas encore les conséquences lointaines. Deux enjeux majeurs semblent se profiler. D’une part, une nouvelle lecture du fameux verset de la Bible : « Dieu leur dit : soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la » (Genèse 1:28). D’autre part, le fait qu’il serait salutaire d’abandonner l’idée d’une nature idolâtrée et des certitudes d’experts scientifiques qu’elle véhicule comme substitut du politique et de la recherche du bien commun.
La récente conférence du Vatican s’inscrit parfaitement dans la mutation que l’Église de Rome opère en son sein depuis quelques années. Remettant l’homme au centre de la réflexion, comme gardien et jardinier de la Création, elle se métamorphose en pivot géostratégique global et réintroduit l’exigence morale dans la recherche d’une nouvelle forme de gouvernance mondiale qui amplifierait le rôle des Nations unies.
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* Beyrouth