On peut être surpris par les résistances, voire l’hostilité, à l’égard de l’idée toute simple d’aller tous ensemble (musulmans et chrétiens du monde arabe) en pèlerinage à Jérusalem l’espace sacré par excellence des trois religions du monothéisme abrahamique. Une telle controverse fut au cœur des débats du récent congrès international de soutien à Jérusalem organisé au Caire, les 17 et 18 janvier, par la prestigieuse université Al Azhar en collaboration avec le Conseil des Sages de l’Islam, dont le siège est à Abou Dhabi et dont le président est, d’office, le recteur d’Al Azhar.
On peut dire que la décision et les déclarations maladroites du président américain Donald Trump, concernant Jérusalem, ont réussi à unifier les rangs arabes. Ont participé au congrès du Caire des représentants de 86 nations. Une impressionnante délégation palestinienne, sous la conduite du président Mahmoud Abbas, ainsi qu’une importante participation libanaise ont constitué autant d’événements. Le Liban était représenté par l’ancien président Gemayel, le ministre Machnouk, le Mufti Deriane, le Patriarche Raï, les évêques de Beyrouth Audeh et Matar, l’ancien premier ministre Fouad Siniora, sans compter une vingtaine d’autres figures du monde politique, religieux, médiatique et universitaire.
L’idée d’aller en pèlerinage à Jérusalem constitua la pierre d’achoppement des débats. L’auditoire fut impressionné par le discours de Mahmoud Abbas qui résonna dans le grand auditorium d’Al Azhar comme un immense cri de la douleur palestinienne étouffée. Tant le président palestinien que le mufti de Jérusalem ainsi que le directeur de l’Institut palestinien du Patrimoine ont égrené une sorte de longue supplication : « Ne nous abandonnez pas. Ne nous oubliez pas. Venez nous rendre visite dans notre prison, ceci nous aidera moralement et ne peut être considéré comme une normalisation de vos relations avec Israël ». Mahmoud Abbas s’est fait l’avocat de l’option de paix qui, selon lui, peut encore sauver ce qui pourrait l’être. Tel n’était pas l’avis du camp irrédentiste qui fut exprimé, entre autres, par Sheikh Kabalan du Conseil Supérieur Chiite libanais. D’autres intervenants reprirent également à leur compte l’option de la guerre infinie, usant parfois d’une rhétorique invariable qui remonte aux années 1950-1960 et l’époque nassérienne.
On peut regretter que la déclaration finale du congrès soit demeurée muette sur ce sujet. Il n’était certes point nécessaire de prendre une position politique, pour ou contre le pèlerinage à Jérusalem. Il aurait été souhaitable que le texte du communiqué dise que le congrès a entendu le cri de la douleur palestinienne et qu’il charge le comité de suivi d’étudier la faisabilité d’un tel projet. Par ailleurs, le communiqué final a usé de l’argument de l’ancienneté de la présence sur la terre de Palestine, faisant remonter les droits historiques des Arabes à l’époque des Jébuséens, peuple sémitique cananéen qui, d’après la Bible, aurait fondé Jérusalem bien avant la colonisation de Canaan par les tribus hébraïques. Un tel débat académique n’ajoute rien aux droits réels et authentiques du peuple actuel de Palestine sur sa terre.
Mais dans l’ensemble, ce congrès a eu un très grand mérite. D’une part, il a replacé sur la table la cause du peuple palestinien comme noyau central des crises du Proche-Orient. D’autre part, il a mis en lumière le fait que le problème si complexe de Jérusalem est avant tout politique. Cette ville se trouve piégée par les outrances millénaristes qui s’affrontent : Jérusalem comme capitale éternelle de l’utopique Israël messianique des sionistes ; ou comme lieu de l’épiphanie de l’Imam occulté Al-Mahdi des Chiites ; ou encore comme lieu du Deuxième Avènement imminent de Jésus-Christ pour les Chrétiens-Sionistes américains si proches du Président Trump. Au milieu de cette cacophonie apocalyptique, c’est la politique comme art rationnel du possible qui tend sa main aux hommes et replace la crise sur le terrain de l’histoire et non uniquement sur celui de l’eschatologie et de l’émotivité, comme l’a montré Mme Fadia Kiwan dans sa communication. Dans le cadre historique du politique, la raison humaine peut déployer des trésors de sagesse afin de trouver une issue au conflit. La solution à deux états, ayant chacun Jérusalem/Al Quds pour capitale, semble inévitable.
Faut-il dès lors aller à Jérusalem ? Oui, absolument ; car il faut répondre à l’appel désespéré des palestiniens. Il appartient à la société civile des pays arabes du Levant, de voir comment organiser « tous ensemble » (musulmans et chrétiens) cette dynamique d’aller rendre visite au prisonnier dans sa cellule, au milieu de la ville sainte, sans pour autant absoudre le geôlier tortionnaire.
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*Beyrouth