L’appel à la démilitarisation des milices chiites, lancé par Emmanuel Macron début décembre, a entraîné une protestation du premier ministre irakien Haïdar al-Abadi.
Le président « Macron n’est pas le bienvenu en Irak. » En costume cravate derrière son bureau dans le quartier ultrasécurisé de Jadrieh, le porte-parole d’une des plus puissantes milices chiites rumine sa colère contre le chef de l’État français. « Votre président n’a pas le droit de s’ingérer dans nos affaires », martèle Laith al-Adhari, du bloc parlementaire d’Assaëb al-Haq. Il fait allusion aux récentes déclarations d’Emmanuel Macron, qui ont rendu furieux de nombreux dirigeants irakiens.
Le 2 décembre, le président de la République a appelé à « une démilitarisation et au démantèlement progressif de la Mobilisation populaire (…) et de toutes les milices » qui ont participé à la guerre contre Daech, à laquelle la France a également contribué militairement. L’appel est d’autant plus mal passé qu’Emmanuel Macron l’a lancé en recevant, comme un chef d’État ce 2 décembre, Nechirvan Barzani, premier ministre du gouvernement régional kurde, qui entend faire sécession de Bagdad. Immédiatement après, l’ambassade d’Irak à Paris a appelé l’Élysée pour protester contre la présence du drapeau kurde à la conférence de presse commune de MM. Macron et Barzani. « On s’est rendu compte juste avant qu’on avait même oublié d’installer le drapeau irakien, reconnaît un diplomate français. Un membre de l’entourage du président est sensible aux pressions du lobby kurde. »
« À quelques jours de la réunion de la commission mixte franco-irakienne, le timing de cette visite n’était pas bon, regrette, de son côté, un diplomate irakien à Bagdad. Une semaine avant, notre ambassade avait fait passer un message à l’Élysée. » Fin septembre, Paris s’était pourtant opposé au référendum sur l’indépendance kurde dans le nord de l’Irak, estimant qu’il menaçait l’unité du pays.
Lorsque Emmanuel Macron téléphona à Haïdar al-Abadi, quelques heures après sa rencontre avec le leader kurde, le premier ministre irakien ne mâcha pas ses mots. « Abadi était en colère, souligne une source informée, il a dit à Macron qu’il n’avait pas à s’ingérer dans les affaires de l’Irak, et que la Mobilisation populaire était légitime, car sa création a été votée par le Parlement. » En novembre 2016, à la veille de la bataille de Mossoul, la Mobilisation populaire a été reconnue par l’Assemblée comme une « institution de l’État » qui a décidé son intégration « au sein des forces régulières ».
Depuis, si les minorités sunnite et kurde applaudissent, c’est la stupeur et l’incompréhension chez de nombreux dirigeants chiites. « Macron ignorait-il qu’une loi avait été votée sur la Mobilisation populaire?», s’interroge le diplomate irakien. « C’est dommage, dit-il, on le voyait comme une chance pour l’Irak après l’affaiblissement en Europe d’Angela Merkel et de Theresa May. »
Des contrats en jeu
Si al-Abadi resta discret, plusieurs responsables chiites critiquèrent le président français. D’abord, l’ancien premier ministre et rival d’al-Abadi, Nouri al-Maliki : « Nous voulons qu’aucun pays n’impose sa volonté au gouvernement et à la brave nation irakienne. » Puis Houman Hamoudi, vice-président du Parlement : « Les Irakiens attendaient de la communauté internationale, et notamment de la France, qu’elle félicite les combattants qui ont donné leur vie pour leur pays et pour le monde. Sans la Mobilisation populaire, dit-il, Daech serait arrivé au coeur de Paris. »
En 2014, face à l’offensive-éclair des djihadistes, qui s’étaient emparés du tiers du pays, plus de 60 000 Irakiens avaient répondu à l’appel à la mobilisation du chef spirituel de la communauté chiite, l’ayatollah Ali Sistani (voir cidessous). Cinq jours après les propos d’Emmanuel Macron, une manifestation a été organisée devant l’ambassade de France à Bagdad. Elle n’a rassemblé qu’une centaine de personnes. Un avertissement à la France. « Si la Mobilisation populaire le veut, prévient le chercheur Hisham al-Hashimi, elle peut faire converger un million de personnes près de la représentation française », bunkérisée dans une ruelle, le long du Tigre.
Depuis, les diplomates français redoublent de prudence. « Macron a été un peu direct, commente un expatrié français à Bagdad. Ses déclarations peuvent être dangereuses pour nos militaires qui forment l’armée irakienne dans plusieurs endroits du pays. Il aurait dû faire passer le message en coulisses. »
Est-ce la première imprudence du président dans un Moyen-Orient plus que jamais instable, où Macron entend faire de la France « une puissance d’équilibre » et « parler à tout le monde » ? «C’est son rôle d’alerter sur certaines problématiques », répond-on au Quai d’Orsay.
Sa saillie est d’autant plus surprenante que Paris et Bagdad rédigent actuellement un « accord de partenariat stratégique » en vue d’un renforcement de la coopération économique, militaire et culturelle. « Comment signer un partenariat stratégique avec un pays allié de l’Iran, alors qu’en même temps, Paris dénonce la tentation hégémonique iranienne en Irak, mais aussi en Syrie et au Liban?», s’interroge l’expert de la relation franco-irakienne.
En marge de la conférence sur le climat, le 12 décembre à Paris, Haidar alAbadi a été reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron auquel il a remis une invitation à se rendre en Irak. « Les choses ont été clarifiées par Abadi. Il s’est entretenu en tête à tête pendant quinze minutes avec Macron qui semble avoir compris que les milices vont être intégrées dans les forces de sécurité », se félicite le diplomate irakien.
Comme le Qatar vient de le faire en recevant Macron, al-Abadi pourrait, en échange d’une modération du président français, faire miroiter la signature de contrats lors du voyage du chef de l’État à Bagdad, notamment dans la réhabilitation des raffineries pétrolières. Mais « cette animosité peut nuire aux négociations sur ces contrats, rappelle l’expert de la relation, car Bagdad se retrouve dans une position difficile. Si l’Irak signe avec des entreprises françaises, certains opposants diront qu’al Abadi a cédé sous la pression de Macron ».