Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Pour une monarchie dont la souveraineté parlementaire reste la clé de voûte, être impliquée dans une guerre désapprouvée par les députés fait désordre. Le ministère de la défense britannique a été contraint de révéler, vendredi 17 juillet, que des militaires de Sa Gracieuse Majesté participent à des frappes de la coalition en Syrie contre l’Etat islamique (EI). Pourtant, le 30 août 2013, le Parlement avait rejeté la demande du gouvernement Cameron d’une participation à des frappes sur ce pays. A l’époque, il s’agissait d’attaquer le régime syrien pour le dissuader d’utiliser des armes chimiques. Mais jamais depuis lors, le gouvernement n’a renouvelé sa tentative.
Michael Fallon, ministre de la défense, a justifié, vendredi, la présence britannique en évoquant des pratiques d’échange de personnel avec les armées alliées « absolument habituelles depuis la fin de la deuxième guerre mondiale ». Selon lui, « une poignée de pilotes britanniques sont incorporés aux forces américaines » et placés sous leurs chaînes de commandement. Cette participation britannique clandestine en Syrie implique trente militaires de l’armée de l’air et de la marine, dont trois pilotes qui volent à bord de F18 américains depuis octobre 2014, selon la BBC. La participation des Tornado britanniques est légalement limitée aux frappes contre l’EI en Irak.
Inquiétude
« Il est alarmant que le Parlement et l’opinion aient été laissés dans l’ignorance de tout cela si longtemps », a réagi Jennifer Gibson, une avocate de l’association de défense des droits de l’homme Reprieve, qui a contraint le gouvernement à révéler les faits en vertu de la loi sur la liberté de l’information. « Plus inquiétant encore, ajoute-t-elle, est le fait que le Royaume-Uni semble avoir remis ses personnels aux Etats-Unis tel quel, sans la moindre idée de ce qu’ils font réellement et si c’est légal. »
De façon étonnante, le ministère de la défense britannique a précisé que les soldats incorporés « opèrent en tant que troupes étrangères ». « Ces éléments ne sont pas contrôlés par le Royaume-Uni. Ils ne sont pas engagés dans des activités militaires britanniques au-dessus de la Syrie », a soutenu Philip Dunne, secrétaire d’Etat aux équipements de défense, cité par le Times.
Ces explications gênées n’ont pas convaincu les parlementaires. Ce personnel « devrait être retiré puisque le Parlement a dit non », a tonné le député ultraconservateur John Baron, lui-même ancien militaire. De son côté, Alex Salmond, l’ancien leader indépendantiste écossais, a accusé le gouvernement de mener « une campagne de bombardements en catimini ».
« Nouvelle bataille d’Angleterre »
Il n’est pourtant pas certain que ces révélations embarrassent durablement le gouvernement Cameron. Depuis sa victoire aux élections, le premier ministre plaide en faveur d’une participation aux opérations en Syrie. Au lendemain de l’attentat de Sousse (Tunisie) qui, le 26 juin, a causé la mort de trente-huit touristes dont trente Britanniques, il a relancé l’idée de « faire plus en Syrie ». Jeudi, son ministre de la défense, a parlé d’une « nouvelle bataille d’Angleterre » contre l’EI. Pour éviter tout nouvel échec, notamment en cas de défection chez les députés conservateurs, M. Cameron devrait attendre la nomination, le 12 septembre, du nouveau leader travailliste, pour obtenir un vote à Westminster. Le Labour a déjà fait connaître qu’il « examinerait très sérieusement toute proposition » destinée à s’attaquer aux « horreurs grandissantes » commises par l’EI.