Président de la Fédération internationale de football (FIFA) durant un quart de siècle, de 1974 à 1998, le Brésilien Jean-Marie Faustin Goedefroid dit « Joao » Havelange est mort, mardi 16 août, dans sa ville natale de Rio de Janeiro, qui organise actuellement les Jeux olympiques. Agé de 100 ans, l’ex-empereur du ballon rond avait été hospitalisé, en novembre 2015, pour des problèmes respiratoires, puis en juillet, pour soigner une pneumonie.
Le destin de cet habile dirigeant au regard d’acier est intrinsèquement lié à l’expansion économique, aux turpitudes et autres scandales financiers de la FIFA, devenue, de son propre aveu, un « monstre » tentaculaire. Forte de 211 pays membres, l’organisation est notamment assise sur des réserves financières évaluées, en décembre 2015, à 1,34 milliard de dollars (1,19 milliard d’euros).
Légende noire
Fils d’un ingénieur belge arrivé au Brésil en 1913, Joao Havelange, né en 1916, foule les terrains de football avec le club carioca de Fluminense, dont il deviendra le président honoraire. Mais c’est surtout dans les bassins que le jeune homme se distingue. Il participe aux Jeux olympiques de Berlin en 1936 comme nageur, puis à l’édition de 1952 à Helsinki en tant que joueur de l’équipe brésilienne de water-polo. De sa carrière de sportif, il tirera une santé de fer et une connaissance aiguë du microcosme des athlètes de haut niveau.
Diplômé en droit, le « docteur » Havelange devient, en 1948, directeur juridique à la Viaçao Cometa, compagnie d’autobus qu’il dirigera durant cinq décennies, dont l’âge d’or coïncide avec la dictature militaire au Brésil (1964-1985). Dirigeant charismatique et homme d’argent, il a par ailleurs fondé Orwec, entreprise spécialisée dans les revêtements métalliques, et a siégé aux conseils d’administration de l’agence publicitaire MPM et de la compagnie d’assurance Atlantica Boavista. Ses liens troubles avec Castor de Andrade, parrain de la mafia à Rio, son train de vie fastueux et son luxueux appartement situé dans le quartier chic de Leblon alimentent notamment sa légende noire.
Président de la Confédération brésilienne de football (CBF) de 1958 à 1973, il voit la Seleçao de Pelé remporter trois Coupes du monde (1958, 1962, 1970) sous son mandat. Au congrès de la FIFA du 11 juin 1974, organisé à Francfort (Allemagne), il lorgne le trône de l’Anglais Stanley Rous, patron de l’instance depuis 1961. Il couvre alors les frais de déplacement de plusieurs fédérations votantes. Bénéficiant notamment du soutien des pays africains, asiatiques et sud-américains, il bat dans les urnes l’ex-arbitre britannique et prend le contrôle d’une organisation qui avait toujours été présidée par un Européen depuis sa fondation en 1904. L’une de ses premières mesures symboliques est d’exclure, en 1976, l’Afrique du Sud, alors plongée dans l’apartheid.
Durant son règne, Havelange arpente sans cesse le globe pour élargir les frontières du football, multipliant les programmes de développement en faveur des fédérations pauvres. « Lorsque je suis arrivé en 1974, la FIFA n’avait pas un sou dans les caisses, confiait le Brésilien au Monde, lors de son retrait des affaires, en 1998. C’était une vieille maison dont la politique économique manquait totalement de dynamisme. Avant d’être un amateur de football, je suis un administrateur. Administrer, c’est ne jamais manquer de ressources. »
« Un homme de fer »
Epaulé dès 1975 par le Suisse Joseph Sepp Blatter, directeur du développement de la FIFA puis zélé secrétaire général (1981-1998) de l’organisation, Havelange noue de juteux contrats avec les marques Adidas et Coca-Cola et réforme à tour de bras. Son long règne coïncide avec l’explosion des droits télévisés de la Coupe du monde et, par conséquent, des revenus de l’instance.
Le Brésilien crée notamment la Coupe du monde féminine, celles des moins de 20 ans et des moins de 17 ans, ainsi que la Coupe des confédérations. Il augmente (de seize à trente-deux) le nombre d’équipes qualifiées pour la phase finale du Mondial. Une expansion teintée de clientélisme qui conforte sa mainmise sur l’instance.
« C’est Monsieur Havelange, quand il m’a engagé, qui m’a dit : “Il faut faire du football un langage universel”. Parce qu’en 1975, on organisait du football seulement en Amérique du Sud et en Europe. En Afrique très peu, en Asie très peu. Je me suis mis là-dedans et on a fait vraiment du football un langage universel », confiait Sepp Blatter au Monde, en décembre 2015.
Qualifié « d’autocrate » par ses adversaires, Havelange est réélu sans opposant à cinq reprises, se contentant de « consulter » son comité exécutif tout en verrouillant son royaume à triple tour. « Tout le monde tremblait devant son regard, son prestige et sa stature. C’était un grand seigneur, un soldat de son sport, c’est lui qui a fait la FIFA moderne et riche. C’était un homme de fer, du pouvoir total. Il a été l’architecte du maintien de son propre pouvoir », explique Guido Tognoni, ex-chef de presse de la FIFA (1984-1995) et ancien responsable du sponsoring.
A la séditieuse Union des associations européennes de football (UEFA) dirigée dès 1990 par le Suédois Lennart Johansson, il oppose sa vision universaliste du football et s’érige en défenseur des fédérations démunies tout en pourfendant « l’européo-centrisme ».
« Culture de la corruption »
En 1996, il annonce qu’il quittera le pouvoir à l’issue du Mondial 1998, organisé en France. A 82 ans, il lègue un immense empire, laissant en caisse, de son propre aveu, « 4 milliards de dollars ». En juin 1998, c’est son lieutenant Sepp Blatter qui lui succède après avoir battu dans les urnes Lennart Johansson. « En 1994, Blatter a essayé de massacrer Havelange alors qu’il lui devait tout, se souvient Guido Tognoni. Havelange a alors promis aux présidents des Confédérations continentales d’élargir le Mondial à trente-deux équipes pour rester en place encore quatre ans. Et il ne pouvait pas se débarrasser de Blatter, car ce dernier connaissait tous les secrets d’ISL. »
ISL comme International Sport and Leisure, la société chargée de revendre les droits marketing des Mondiaux de 1982 jusqu’à sa faillite, en 2001. Créée par Hörst Dassler, le fils du fondateur d’Adidas, la compagnie ISL a versé des commissions et autres pots-de-vin colossaux (105 millions d’euros) à plusieurs dignitaires de la FIFA, dont Havelange, alors que les montants des droits télévisés explosaient. Cette affaire a été toutefois classée sans suite, en 2010, par le parquet du canton de Zoug (Suisse). Ce dernier précisait alors que la « procédure a été arrêtée car les accusés ont accepté de payer les 5,5 millions de francs suisses fixés par le procureur au titre de compensation ».
En 2011, à 95 ans, Havelange démissionne du Comité international olympique (CIO), dont il était membre depuis 1963. Selon la BBC, le patriarche aurait touché, en 1997, 1 million de dollars de pots-de-vin par ISL. En 2013, le nonagénaire est accusé par le comité d’éthique de la FIFA d’avoir reçu d’ISL plusieurs dizaines de millions de dollars de pots-de-vin. Il quitte alors son poste de président honoraire de l’instance mondiale, démissionnant à l’instar de son gendre Ricardo Teixeira, membre du comité exécutif de la FIFA et ex-patron de la CBF (1989-2012).
C’est après le départ du Brésilien que les turpitudes d’un règne rongé par une corruption endémique transparaissent. « Depuis l’intronisation de Havelange, la FIFA a la culture de la corruption », résume Guido Tognoni. « En 1998, Havelange a transmis en héritage cette culture à Blatter », ajoute le Sud-Coréen Chung Mong-joon, ex-vice-président de la FIFA (1994-2011), lui-même suspendu cinq ans par le comité d’éthique de l’organisation.
« Comme Blatter, Havelange était un gangster, mais il avait beaucoup de style », sourit Guido Tognoni. « Tu as créé un monstre », a dit un jour le Brésilien à son successeur. Réélu pour un cinquième mandat en mai 2015, Blatter a, contrairement à son mentor, connu une chute tout aussi rapide que vertigineuse. Il a été suspendu huit ans, en décembre, par son comité d’éthique, à l’instar de son ancien allié Michel Platini. Tout comme le patron français de l’UEFA, le Suisse, 80 ans, a vu sa peine réduite à six ans par le comité des recours de la FIFA en vertu des « services qu’il a rendus » au football. Lui qui est par ailleurs accusé par son ancienne organisation de s’être enrichi après avoir partagé, de 2011 à 2015, 80 millions de dollars « d’augmentations de salaire annuel, des bonus liés aux Coupes du monde et d’autres avantages » avec son secrétaire général français Jérôme Valcke (suspendu dix ans) et son directeur financier Markus Kattner.
Héritage douloureux au Brésil
L’Helvète doit être auditionné le 25 août, par le Tribunal arbitral du sport (TAS) de Lausanne, qui avait réduit en mai la suspension de Platini de six à quatre ans. Le 2 juin 2015, Blatter avait annoncé son abdication prochaine après que le FBI avait inculpé plusieurs dirigeants de la FIFA, accusés d’avoir touché 150 millions de dollars de dessous-de-table depuis 1991 et les dernières années du règne de Joao Havelange.
L’héritage de l’ex-patron brésilien de la FIFA est encore plus douloureux dans son pays natal. Ricardo Teixeira, José Maria Marin, président de la CBF de 2012 à 2015, et son successeur Marco Polo Del Nero : tous les dauphins et proches du « docteur » ont été récemment inculpés par la justice américaine.
Désireuse d’enterrer un passé sensible et controversé, la FIFA avait préféré ne pas organiser de cérémonie officielle, le 8 mai, pour le centième anniversaire de son ex-monarque. Ce dernier avait toutefois reçu, à Rio, la visite de son ancien collaborateur Walter Gagg, directeur de l’instance et doyen de ses salariés. L’ex-assistante du « docteur » Havelange, Marie-Madeleine Urlacher, a elle aussi fait le déplacement jusqu’au Brésil. Elu le 26 février à la présidence de l’organisation, le Suisso-Italien Gianni Infantino n’avait ainsi pas directement rendu hommage à son lointain prédécesseur. « Joao Havelange fait partie de l’histoire de la FIFA, soufflait-on alors en interne au Monde. Le président Infantino n’a pas travaillé avec lui, comme la majorité des actuels salariés de la FIFA. Havelange, c’était une certaine époque… »
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En 2009, lors de la désignation de Rio comme ville hôte des Jeux olympiques d’été de 2016, il avait invité tous les membres du CIO à « venir y fêter » son centième anniversaire. Diminué, le patriarche n’avait pu assister à la cérémonie d’ouverture des JO, le 5 août dans sa cité natale. Prévu pour accueillir les épreuves d’athlétisme et de football, le Stade Joao Havelange avait sobrement été rebaptisé « Stade olympique » durant la compétition.
- Rémi Dupré
Journaliste au Monde