« Le passé n’éclairant pas l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres «
Alexis de Tocqueville
Le 18 mars la Tunisie a été profondément secouée par l’attentat terroriste du Bardo. Les experts affirment que le lourd bilan de l’attentat meurtrier perpétré mercredi matin au musée du Bardo aurait pu être encore beaucoup plus dramatique et aux multiples conséquences culturelles et politiques. Les terroristes étaient en effet munis d’un important lot d’explosifs et comptaient faire sauter le musée ainsi que le siège de l’Assemblée des Représentants du Peuple. Dans leur funeste stratagème, ils ne devaient pas se contenter de tuer le maximum possible d’innocents, mais aussi et surtout détruire les précieuse collections de mosaïques, statues et autres pièces exceptionnelles .En effet , les belles illustrations les tableaux représentant Virgile entouré de muses, ou le pavement représentant Dionysos faisant le don de la vigne à Ikarios, ou cet autre célébrant le triomphe de Neptune, étaient intolérables au motif que celles-ci préexistaient à la naissance de l’Islam et qu’elle représentent à leurs yeux des divinités païennes.
En 2001, ce sont les Bouddhas de Bâmiyân qui ont été victimes du fanatisme islamiste. Ces statues bouddhistes monumentales bâties entre le IIIe et le Ve siècle au nord-est de Kaboul ont subi des tirs d’artillerie après que l’influent mollah Omar les ait décrétées « idolâtres ». Pendant 25 jours, des centaines de talibans venus de tout le pays s’étaient acharnés à les détruire, à coups de roquettes et de dynamite.
Il y’a quelques semaines, la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, déplorait « l’effroyable stratégie de nettoyage culturel en cours en Irak », après la destruction de la cité antique de Hatra, située à 100 km au sud de Mossoul, dans le nord du pays. Cette ville fortifiée vieille de 2000 ans où se mêlent des architectures orientales et occidentales, est l’un des quatre sites irakiens classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Les combattants de l’EI ont déjà réduit en miette les collections du musée de Mossoul, puis les joyaux architecturaux de la cité de Nimroud fondée au XIIIe siècle avant l’ère chrétienne. Construite sur une falaise surplombant le Tigre sur environ 360 ha, Nimroud, l’une des grandes capitales néo assyriennes, est, aussi, l’un des sites archéologiques irakiens les plus connus et un lieu important de la civilisation mésopotamienne.
Du Bardo à Nimroud, de Tombouctou à Bâmiyan ; l’obstination qu’ont les terroristes islamistes de vouloir raser notre patrimoine universel et d’éradiquer toute forme matérielle de notre civilisation poursuit plusieurs objectifs.
D’une part, les islamistes de l’E.I en quête de visibilité détruisent tout ce qui peut leur permettre de faire de nouveaux coups médiatiques, par conséquent ces attentats odieux et spectaculaires sont des opérations de communication pour amplifier l’aura de l’organisation terroriste.
On relève aussi une chez les terroristes islamistes, vu leur formation et leur origine socio économique, une méconnaissance totale et une ignorance dramatique de la culture dans son essence comme mémoire vivante et permanente de l’humanité.
D’autre part, leur projet totalitaire repose sur plusieurs piliers dont la destruction de la mémoire et la falsification du passé. Tout le long du vingtième siècle, les luttes des hommes contre les entreprises totalitaires, ont souvent pris la forme d’une lutte de la mémoire contre l’oubli. Du nazisme, au fascisme, d’Orwell à Vaclav Havel, les finalités de la résistance étaient souvent le rétablissement de la vérité contre le mensonge généralisé. A ce propos, dans l’ancienne Grèce, la vérité, c’est « aléthéia »: le non-oubli donc la mémoire !
A travers les ténèbres du cheminement totalitaire, on se rend compte que ce type de pouvoir qui vise à la domination totale des esprits -doit contrôler entièrement les aspirations de chacun. Il ne délaisse aucune dimension de l’existence humaine, pas même la plus indifférente au regard de l’exercice du pouvoir, et ceci en abolissant notamment tous les repères subjectifs, en ruinant toutes les références à un système de normes échappant à son emprise. Ces dernières années, les terroristes islamistes se sont acharnés à raser les zawiyas maraboutiques, à assassiner les adeptes des confréries, à modifier les coutumes ancestrales, à bouleverser les rites de passage de passages traditionnels de la naissance, des mariages et du deuil. Ils cherchent à substituer au langage tunisien vivant, varié et chatoyant, une langue de bois dépouillée et uniformisée en orchestrant une refonte linguistique radicale. En imposant, par la violence, leurs uniformes obscurs et ternes, ils détruisent les tenues traditionnelles support de mémoire, d’histoire et de culture. Ils ne cherchent pas à gérer les différences individuelles mais à les faire disparaître au profit de l’uniformité. Ces actes éparpillés ne sont guère arbitraires. Ils visent l’anéantissement de la mémoire collective .Or, une communauté sans mémoire, sans passé, sans histoire est dessaisie de son identité et oublie jusqu’à l’idée de liberté. Elle devient malléable, totalement contrôlable et entièrement à la merci des tyrans.
L’oppression lui est présentée comme naturelle et légitime. La servitude lui est enseignée comme juste et éternelle .De même qu’un amnésique est privé d’identité, donc de conscience, donc de projet. Tout projet s’appuie sur une mémoire, sans laquelle rien ne peut avoir de sens. La destruction de la mémoire vise l’établissement d’une société statique et immobile dans laquelle il n’y a plus aucune possibilité de changement ou de rébellion.
C’est grâce à ces techniques d’ingénierie sociale que règne la satisfaction généralisée et la soumission intérieure. Un écrivain russe, T. Ajtmatov, rapporte dans son roman « Une journée plus longue qu’un siècle », une terrible et ancienne légende. Il parait que les envahisseurs barbares chouang-couang soumettaient leurs prisonniers à un traitement particulier pour en faire de parfaits esclaves sans mémoire. Ils rasaient la tête des hommes jeunes, puis à l’aide de bandelettes de peau prélevées sur un chameau fraîchement dépouillé, ils enserraient ces têtes juvéniles. Ils laissaient ensuite les malheureux plusieurs jours sous le soleil brûlant de la steppe. Ceux qui survivaient à pareille torture, devenaient des « mankurt » : esclaves sans mémoire. Ils ne savaient plus d’où ils venaient, ni où ils étaient nés, ni qui étaient leurs pères, ni leurs mères. Privés de leur passé, ils n’avaient plus aucun support pour comparer leur misère présente. Ils devenaient des serviteurs modèles. Ces esclaves amnésiques valaient dix fois plus que les esclaves ordinaires !
ahikbal@yahoo.fr
Tunis