Les chrétiens d’Irak ont dû fuir les persécutions du groupe djihadiste État islamique. (Ici à Alqosh, en juillet.) Crédits photo : Uncredited/ASSOCIATED PRESS
Irak1, Syrie2… l’actualité est sombre pour les chrétiens. Et la publication cette semaine du Livre noir de la condition des chrétiens dans le monde, ouvrage collectif sous la direction du Français Mgr di Falco, de l’Anglais Timothy Radcliffe, ancien supérieur mondial des Dominicains, et de l’Italien Andréa Riccardi, et coordonné par notre confrère de La Croix Samuel Lieven, est très utile parce qu’il livre un panorama jusque-là seulement réalisé par des associations caritatives – les rapports annuels de l’Aide à l’Église en détresse, catholique, et de la Porte ouverte, protestante – ou par l’institut Pew Forum aux États-Unis.
De l’Irak à l’Arabie saoudite, du Nigeria au Soudan, de la Corée du Nord à la Chine, ce livre noir donne donc à voir où et comment «150 à 200 millions de chrétiens» subissent chaque année «une persécution», même si le mot ne figure pas en couverture, pour le seul fait de croire au Christ. L’ouvrage aborde ainsi ce que l’un des contributeurs américains, John Allen, dénonce comme «la guerre mondiale faite aux chrétiens». Ce tour du monde est magistral. Même s’il manque toutefois à cette œuvre, qui se veut constructive et bâtie dans l’esprit du dialogue entre les religions, une analyse sérieuse des racines de l’intolérance et de la violence contre les chrétiens nourries par une partie des musulmans.
Cette persécution fait sentir ses effets à tous les niveaux. Le Vatican a ainsi confirmé, mardi, le voyage de François en Turquie du 28 au 30 novembre prochain. Deux villes au programme, Ankara, la capitale, puis Istanbul. Un voyage qui a tardé à être confirmé en raison de la guerre et de la terreur semées par l’État islamique en Syrie et dans la zone kurde du nord de l’Irak, aux frontières sud-est de la Turquie.
Rien, donc, dans le programme officiel sur un projet d’incursion du Pape dans cette zone un moment envisagé. Il souhaitait se rendre dans cette région pour y affirmer symboliquement le soutien de l’Église catholique aux populations chassées et persécutées par les islamistes. On sait, depuis cet été, que le pape François attend la première occasion pour faire un tel geste.
À son retour de Corée, le 18 août dernier, son avion aurait d’ailleurs dû s’arrêter quelques heures à Erbil, dans le nord de l’Irak, où il aurait alors salué des réfugiés. Cette étape jusqu’au dernier moment envisagée fut jugée trop dangereuse. De ce point de vue, il est d’ores et déjà certain que ce sixième voyage de François, risqué, hors d’Italie s’accomplira sous très haute surveillance. Il a même failli être reporté à des jours meilleurs.
Des jours meilleurs… Beaucoup de chrétiens en Irak, en Syrie mais aussi dans tous les pays à dominante musulmane ne croient plus à ce retour-là. Ou n’osent plus y croire, comme au Liban, par exemple, stable mais très fragilisé. Avant le début du désormais étrange «printemps arabe», les chrétiens de Terre sainte avaient tiré la sonnette d’alarme à Rome devant la montée croissante du fondamentalisme musulman.
Depuis tout a empiré pour les chrétiens. Et partout. Pas seulement pour les catholiques. S’ils ne devaient pas être si discrets, les évangéliques protestants, très présents dans le Maghreb mais aussi jusqu’en Iran, parleraient. Pour un musulman, une conversion au christianisme est passible de mort. Et le climat s’est tendu.
La confiance, elle aussi, s’est perdue. Combien de familles chrétiennes, qui ont dû quitter Mossoul, en Irak, cet été, ont raconté les actes héroïques de voisins musulmans qui ont cherché à les protéger mais aussi les trahisons subites après des décennies d’apparente bonne entente?
«Atrocité inouïe»
Les chrétiens dans ces pays ressemblent au pape François qui voudrait s’avancer en homme de paix et de réconciliation en Irak mais que la violence extrémiste oblige à renoncer et à se tenir loin de cette terre martyre.
Profitant de la fin du synode sur la famille, François a réuni, lundi à Rome, tous les patriarches et archevêques du Moyen-Orient en «consistoire» pour faire le point sur la situation. Son désir est d’«apporter la plus grande aide possible aux communautés chrétiennes pour soutenir leur maintien dans la région» parce que «nous ne pouvons pas nous résigner à penser le Proche-Orient sans les chrétiens qui, depuis deux mille ans, confessent le nom de Jésus».
Abordant la question concrète de l’Irak et de la Syrie, le Pape a dit sa vive préoccupation. «Nous assistons à un phénomène terroriste d’une dimension jusqu’alors inimaginable». Ajoutant: «Tant de nos frères sont persécutés et ont dû laisser leurs maisons de manière même brutale. On a l’impression que toute conscience de la valeur de la vie humaine a été perdue, que la personne ne compte plus et que l’on peut la sacrifier à d’autres intérêts. Et tout cela dans l’indifférence de tant de monde.»
Lapidaire, son premier ministre, le cardinal Parolin, a dénoncé publiquement devant le même auditoire les exactions d’une «atrocité inouïe» commise par «l’État islamique»: «meurtres de masse, décapitation de ceux qui pensent différemment, vente des femmes sur le marché, enrôlement des enfants pour les combats, destruction des lieux de cultes». Rappelant qu’«il est licite d’arrêter l’agresseur injuste» pour l’Église «mais dans le respect du droit international», il a une nouvelle fois appelé à l’urgence de l’engagement de la communauté internationale pour une solution politique.