Surprenant la majorité des observateurs, les Etats-Unis ont lancé plus tôt que prévu, au cours de la nuit du 22 au 23 septembre, « leur guerre » contre l’Etat islamique en Syrie. Ils se devaient de châtier au plus vite cette organisation djihadiste pour se venger de l’humiliation infligée à la première puissance militaire du monde, incapable de sauver la vie de ses ressortissants retenus en otages. Mais ce faisant, comme souvent dans leur volonté d’agir vite et de frapper fort, là où la cohérence recommandait patience et réflexion, ils ont mis la charrue avant les bœufs.
En élargissant les frappes au Front de Soutien, dont l’urgence aurait été justifiée par l’existence d’une mystérieuse « cellule Khorasan »… encore totalement inconnue une semaine auparavant, et en faisant une quarantaine de morts dans les rangs du seul groupe adoubé en Syrie par l’actuel dirigeant d’al-Qaïda, ils ont voulu démontrer qu’en dépit de leur échec en Afghanistan, ils n’avaient pas renoncé à supprimer l’organisation du défunt Ousama Ben Laden. Mais ce faisant, ils ont mis dans l’embarras les groupes armés de l’opposition syrienne, qui, tout en désapprouvant l’idéologie de ce groupe, en critiquant son rattachement à une organisation extérieure et en peinant parfois à coexister avec lui, éprouvent du respect pour son engagement dans le processus militaire de renversement de Bachar al-Assad et sont contraints de rechercher sa collaboration.
Sur le fond, et dans l’attente d’un bilan militaire de cette première série de raids contre Da’ech, dont on retiendra qu’elle a aussi provoqué la mort d’une dizaine de civils innocents, parmi lesquels des enfants, personne ou à peu près ne se scandalise des coups portés aux infrastructures et aux unités de l’organisation radicale. Beaucoup de Syriens les appelaient de leurs vœux. Et, estimant que sa souveraineté avait suffisamment été respectée par l’annonce préalable à son représentant permanent à l’ONU de l’imminence de l’attaque… destinée à mettre en garde le régime contre toute velléité de s’interposer, la Syrie n’a pas réagi à la violation de son espace aérien.
Quant à la forme, c’est une toute autre histoire. Partisans ou opposants du régime, les Syriens sont nombreux à considérer que les opérations aériennes ne sont pas adaptées contre un groupe de cette nature, qu’elles peuvent éventuellement affaiblir, mais qu’elles ne pourront absolument pas éradiquer comme les Américains et leurs alliés en affichent l’intention. Les opposants considèrent également que ces opérations sont prématurées, et que, de nature politique ou militaire, d’autres mesures auraient dû les précéder. Ils considèrent aussi que les inévitables dégâts collatéraux auront un coût politique et assimileront les bombes des « libérateurs » aux barils de TNT des « assassins » du régime. Ils considèrent enfin que, dans leur hâte, ceux qui prétendent les aider ne sont toujours pas prêts à entendre leurs véritables attentes et à y apporter une réponse, surtout lorsqu’elles risquent d’entrer en conflit avec leurs propres intérêts.
Puisque, comme le président François Hollande, Barack Obama a renvoyé dos-à-dos les terroristes de l’Etat islamique et le terrorisme de Bachar al-Assad, et puisqu’il a décidé, comme lui, de soutenir « l’opposition modérée », c’est-à-dire les révolutionnaires de toutes tendances attachés à la préservation de l’Etat national et à une solution conforme aux intérêts du pays et de l’ensemble de sa population, le chef de l’exécutif américain aurait dû prêter l’oreille à ceux qui lui suggéraient de temporiser avant de frapper.
Dans une première étape, il aurait dû, pensent-ils, préciser avec une clarté ne laissant plus de place au doute que c’est bien les projets de l’opposition syrienne qu’il entend favoriser en bombardant Da’ech. C’est à elle que doit profiter son affaiblissement, et non pas, comme certains s’estiment fondés à le dire par une initiative qui apparaît pour l’heure strictement militaire, la survie d’un régime malmené par ses opposants, épuisé économiquement, critiqué par certains de ses partisans et finalement incapable de se maintenir en place sans le soutien de ses amis de l’extérieur.
Dans un second temps, selon eux, il aurait dû engager sérieusement le processus de soutien politique, financier, technique et militaire promis à cette opposition, aux unités de l’Armée libre et aux autres groupes de combattants syriens. Ce sont eux en effet qui devront sur le terrain, comme ils l’avaient fait au début de l’année 2014, repousser les membres d’une organisation djihadiste affaiblie par les frappes, occuper les positions délaissées par l’Etat islamique avant que le régime ne puisse les récupérer, organiser le retour et la réinstallation chez eux des réfugiés et des exilés, faire régner l’ordre et la stabilité requis par la relance des activités dans tous les domaines, etc.
La montée en puissance de ces combattants, et donc leur capacité à avancer de nouveau de manière significative dans leurs confrontations avec les forces fidèles au pouvoir en place, leur aurait permis, ils en sont convaincus, de ramener à eux une partie au moins de leurs jeunes compatriotes. C’est par dépit ou faute d’alternative que, désireux de se battre efficacement contre un régime qui leur a tout pris, ils ont été fascinés par la puissance et les moyens de l’Etat islamique… beaucoup plus que par son idéologie.
Dans ces conditions, et en dépit de la satisfaction exprimée par Hadi al-Bahra, le président de la Coalition nationale qui avait appelé les Américains à frapper Da’ech en Syrie… comme on le lui avait demandé, on ne sera guère surpris de constater la froideur générale des réactions de ceux qui refusent à la fois l’Etat islamique et « l’Etat de Barbarie ». Pour eux, les Américains n’ont pas répondu à leurs demandes. Elles incluaient d’une part la fourniture de véritables moyens à l’opposition et à l’Armée libre. Elles comprenaient d’autre part, en parallèle aux frappes contre l’Etat islamique, des frappes contre les bases aériennes ou autres des forces du régime. Et elles ne concernaient pas à ce stade d’initiative contre le Front de Soutien.
Ils constatent finalement avec amertume que les Américains se sont dissimulés derrière leurs demandes pour mener une opération qui correspond d’abord et avant tout, pour ne pas dire exclusivement, à leurs intérêts immédiats, et qui ne lève pas définitivement les doutes sur la nature de leurs intentions concernant la Syrie et l’avenir de la contestation.
Les frappes américaines accueillies avec froideur en SyrieObama, son équipe et, derrière, le parti démocrate, seront confrontés en novembre à une échéance électorale qui s’annonce clairement sombre, vu les échecs patentés d’Obama en politique intérieure comme dans les affaires étrangères. Sans doute faut-il trouver, là, une des explications (et non des moindres?) de la précipitation du concerné dans cette histoire de frappes. Ainsi, serait-il exagéré de spéculer sur la durée et les résultats de ces frappes pour en dire qu’elles cesseraient, une fois l’échéance électorale et ses résultats bien derrière nous, aussi précipitamment qu’elles ont comencé? Sachant que novembre ,c’est… Lire la suite »