Sur la photo de Bachar : « Votez pour moi » Sur celle des autres candidats : « Votez pour lui »
Sur la photo de Bachar : « Votez pour moi »
Sur celle des deux autres candidats : « Votez pour lui »
Le deuxième acte de la comédie a été conclu, le 5 mai, par la divulgation des noms des trois postulants admis à se lancer dans la bataille électorale qui s’achèvera, le 3 juin, par la réélection sans surprise de Bachar al-Assad.
Pour parvenir à ce stade, les candidats à la candidature devaient recueillir le soutien de 35 membres de l’Assemblée du Peuple qui en réunit 250, chaque député n’étant autorisé à apporter son appui qu’à un seul et unique candidat. On imagine aisément le déchirement et l’inquiétude des « représentants du Peuple » auxquels les scénaristes ont demandé de ne pas soutenir le candidat sortant. Pour de multiples raisons, à commencer par leur sécurité personnelle et familiale, ils l’auraient tous plébiscité. Mais avec un candidat unique la pièce aurait tourné court. Elle aurait manqué de suspense et le scénario d’une élection démocratique aurait été mis à mal. La solution retenue, celle d’une compétition à trois, est donc le résultat d’un compromis entre ce plébiscite et la répartition des soutiens, mathématiquement possible mais hautement artificielle, entre le nombre maximum théorique de sept candidats. Elle permet d’imaginer, puisque aucun décompte n’a été fourni, que le candidat sortant a sauver l’honneur en recueillant les suffrages de plus de la moitié des députés et que ses deux concurrents se sont partagé le reste.
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Il n’est pas sans signification que les deux compétiteurs admis à défier Bachar al-Assad aient été les premiers à se faire connaître lors de l’acte inaugural. Les autres ne sont apparus progressivement sur la scène, au cours des dix jours qui leurs étaient alloués, que pour meubler l’espace et entretenir un simulacre d’incertitude dans l’intrigue. C’est au milieu d’eux, avec une discrétion affectée destinée à ménager le suspense, que le président sortant a fait acte de candidature.
Il n’est pas non plus sans signification que le premier, Maher al-Hajjar, soit un sunnite originaire d’Alep, que le second, Hassan al-Nouri, soit un chiite damascène, et que leur adversaire commun soit un alaouite dont la famille est originaire de la région côtière. Il sera ainsi démontré, lors du dénouement, que les Syriens – du moins ceux qui participeront au vote… – ignorent les sentiments bassement confessionnels que la presse du régime impute à l’opposition – qui a appelé au boycott des candidatures et du vote – et qu’en faisant le choix de Bachar al-Assad ils n’auront d’autre pensée en tête que de se prononcer… pour le candidat le plus compétent.
Il n’est pas sans signification enfin, pour accréditer l’idée du pluralisme et de la confrontation entre courants politiques, que chacun des finalistes retenus pour s’engager dans la bataille électorale incarne une tendance particulière : le « socialisme arabe » mâtiné d’économie sociale de marché du Parti Baath pour l’actuel chef de l’Etat, l’idéologie communiste pour Maher al-Hajjar et le libéralisme pour Hassan al-Nouri. Pour crédibiliser le positionnement politique de ce dernier, la presse officielle a procédé à un petit tour de passe-passe dont l’inspiration est à rechercher, bien entendu, au sein de l’une des nombreuses officines en charge de l’encadrement de la société : elle a fait d’un simple programme de formation des cadres lancé par ce dernier en Syrie au cours de l’année 2012, sous le nom d’« Initiative nationale pour la Gestion (li-l-Idârat) et le Changement« , un « parti de l’opposition intérieure » renommé pour la circonstance, avec ou sans son agrément, « Initiative nationale de la Volonté (li-l-Irâdat) et du Changement »…
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En rendant publics les noms des trois acteurs auxquels la scène sera réservée pour les deux actes suivants, le porte-parole de la Cour suprême a sonné un entre-acte de trois jours, au cours desquels il a demandé aux partisans des intéressés de s’abstenir de toute propagande électorale, « dans l’attente du résultat des éventuels recours ». Cette demande n’était pas inutile, deux d’entre eux n’ayant pas attendu le vote des députés pour commencer à faire campagne dans des styles très différents.
Le communiste Maher al-Hajjar, élu député en mai 2012 sur la liste du 4ème vice-premier ministre Qadri Jamil aujourd’hui en disgrâce, avait ouvert, dès le 23 avril, une page Facebook sur laquelle il avait entrepris d’exposer ses « idées » et de critiquer avec une franchise qui frisait l’inconscience le bilan de son principal adversaire. Alors qu’un membre du Parti Baath de Soueïda avait été arrêté, au début du mois de mars 2014, pour avoir mis en cause lors d’une réunion interne la stratégie de communication du régime, les pratiques des Services de sécurité et la transmission héréditaire du pouvoir en Syrie, lui pouvait s’exprimer sur sa page avec une liberté trop risquée pour ne pas avoir été validée à l’avance par ses parrains. Qu’on en juge :
– il réclamait la présence lors du scrutin du mois de juin d’observateurs internationaux ;
– il rappelait en songeant évidemment à Asma al-Akhras, épouse de Bachar al-Assad, qu’une disposition de la Constitution interdit aux concurrents d’être « marié(s) à une non-syrienne » ;
– il annonçait que son premier acte de président serait la remise en liberté du Dr Abdel-Aziz al-Khayyer que ce même Bachar al-Assad avait fait arrêter par ses moukhabarat jawiyeh et qu’il niait encore récemment détenir dans ses geôles ;
– il dénonçait l’incompétence et la grossièreté des diplomates syriens dépêchés à Genève pour les négociations avec l’opposition ;
– il critiquait la faiblesse de la stratégie militaire de l’armée régulière, qu’il suspectait d’ailleurs de connivence avec les djihadistes honnis de Da’ech ;
– il réclamait un accès libre des secours aux populations assiégées pour prévenir l’adoption contre la Syrie d’une résolution sous chapitre 7 du Conseil de Sécurité ;
– il promettait la « fin du chef suprême inspiré, unique détenteur de la décision » ;
– il prétendait mettre en œuvre une « véritable démocratie » et une « authentique liberté d’expression »…
L’audace des critiques voilées ou explicites contenues dans ces déclarations devait apparaître comme la confirmation que la démocratie était désormais à l’œuvre en Syrie. Elle a été comprise par une majorité de Syriens, qui n’ignorent plus rien des procédés des moukhabarat, comme une preuve supplémentaire que ce diplômé de linguistique jouait le rôle d’idiot utile qui lui avait été assigné. Chacune de ses revendications avait été soigneusement rédigée et pesée par ceux qui l’avaient sélectionné pour son abnégation de sparring-partner et pour ses dons d’acteur. Mais, après avoir observé un long silence sur les intentions qu’on lui prêtait, Maher al-Hajjar leur a donné une autre explication en affirmant, dans un communiqué de presse diffusé le 1er mai, qu’il n’avait rien à voir avec la page Facebook qui affirmait s’exprimer en son nom….
Tandis qu’il retenait ainsi les attentions, le candidat Bachar al-Assad brillait par son absence. Il se faisait désirer. Il laissait à d’autres le soin de faire campagne pour lui. Ce n’est qu’après avoir été plébiscité par les participants aux « marches spontanées » organisées par les menhebbakjis dans les villes sous le contrôle du régime ou de ses alliés kurdes du Parti de l’Union Démocratique, qu’il a finalement annoncé une candidature qui ne faisait aucun doute. La focalisation sur son nom et son image, le rappel de l’amour que lui portaient ses partisans, l’affirmation incantatoire que la Syrie lui devait tout et ne serait rien sans lui, l’avaient dispensé, au cours des deux premiers actes, d’apparaître lui-même sur la scène et, surtout, de donner à penser qu’il aurait un programme autre que celui qu’il avait mis en œuvre dans son pays depuis plus de trois ans maintenant, avec le succès que l’on sait.
Adoptant une posture résolument légaliste… et prudente, le troisième élu, Hassan al-Nouri, s’est abstenu, sur sa nouvelle page Facebook de tenir des propos aussi provocateurs que l’autre outsider. Justifiant aux yeux de tous, avec la photocopie de ses diplômes, la légitimité de ses ambitions, l’ancien député et ancien ministre d’Etat au Développement administratif a aussi veillé à préciser d’emblée le plafond de son opposition. Si rien dans les apories jusqu’ici formulées sur cette page ne risque de l’exposer au rappel au texte du scénario dont son « rival » al-Hajjar a récemment fait les frais, il n’a pas été épargné par l’opposition. Des activistes ont en effet suggéré que l’intéressé n’avait pas été choisi par hasard puisque, heureux propriétaire d’une usine de cirage, il allait pouvoir démontrer sa capacité à « cirer les pompes » de celui auquel il serait bientôt confronté…
(A suivre)