La déclaration du Secrétaire d’État John Kerry le 26 août 2013 sur la Syrie était ferme et claire : en l’absence de solution diplomatique, une frappe militaire américaine aura lieu. Le Président Barack Obama devra toutefois, au préalable, s’adresser à ses citoyens. Il ferait bien de s’imprégner de la passion et de la conviction de Kerry.
Ni le président, ni son secrétaire d’Etat ne cherchent une excuse pour frapper militairement le régime Assad. Au contraire : le président a résisté aussi longtemps qu’il le pouvait à apporter un soutien à l’opposition armée syrienne, et Kerry s’est risqué à rechercher la coopération de Moscou lors d’une conférence de paix à Genève favorable ni au régime ni à ses adversaires. Il y a quelques jours encore, le régime Assad, l’Iran et la Russie auraient parié gros que rien, absolument rien, ne motiverait les États-Unis à envisager une action en Syrie. Il aura fallu un affront de la part du régime Assad à l’encontre du président Obama et de la crédibilité des Etats-Unis pour renverser la situation. On peut considérer que l’administration américaine n’envisagerait pas, aujourd’hui, des options militaires si elle n’avait la certitude de la responsabilité du régime dans le massacre à l’arme chimique.
Dans sa remarquable déclaration, Kerry commet toutefois une erreur en déclarant : « Le massacre aveugle de civils, de femmes et d’enfants à l’arme chimique est une obscénité morale ». C’est le massacre quelque soit l’arme utilisée qui est moralement obscène et criminel. Pendant des mois, le régime Assad a massacré des innocents avec des tirs d’artillerie, de roquettes et de missiles dans des zones habitées. Il a utilisé des fusils, des pistolets, des baïonnettes et des couteaux. Les syriens morts gazés à l’arme chimique ne représentent qu’une part infime des syriens assassinés. Cette obscénité morale existait déjà quand le président a refusé les propositions d’armer les rebelles syriens en juillet 2012. Et cela a continué pendant des mois sanglants tandis que le porte-parole de l’administration mettait en garde contre une militarisation du conflit et ensuite soulignait avec inquiétude l’affaiblissement relatif des rebelles, confrontés aux djihadistes soutenus par l’argent du Golfe.
L’obscénité morale de la situation en Syrie n’est pas une nouveauté. Ce qui est nouveau, c’est que le chef du clan Assad – Makhluf cherche à humilier le président des États-Unis et à détruire sa crédibilité, tant dans la région qu’à l’extérieur. D’après la déclaration de Kerry, Assad pourrait avoir commis une erreur grossière, voire fatale, en considérant qu’il s’en sortirait impuni. Toutefois, il est encore possible qu’il s’en sorte.
Il est évident que l’administration américaine examine toute une gamme d’options militaires. A l’une des extrémités de la gamme, l’intervention consisterait à lancer symboliquement des missiles de croisière sur des installations associées aux armes chimiques. Si c’est cette option qui est retenue, on peut s’attendre à ce qu’Assad annonce au monde qu’il a affronté les États-Unis : un argument difficile à rejeter par des observateurs objectifs. L’autre extrémité de la gamme serait une campagne soutenue de plusieurs jours visant à détruire ou dégrader significativement la capacité du régime à utiliser les armes à effet de masse, quelle que soit leur nature, contre les populations civiles. Une telle campagne pourrait également inclure des frappes de missiles de croisière sur les principaux fiefs politiques et militaires du régime. La neutralisation de l’artillerie, roquettes, avions et missiles du régime, ainsi que des installations associées, soulagerait ceux qui souffrent directement et indirectement de l’obscénité morale : les Syriens massacrés en masse et les alliés et amis américains dans la région confrontés à des vagues de réfugiés traumatisés et à diverses tentatives de déstabilisation politique.
Aucune opération militaire ne sera parfaitement chirurgicale : des civils seront tués et blessés ; pas avec la même intention et efficacité que celles d’un régime profondément versé dans les crimes de guerre et crimes contre l’humanité et en nombres bien inférieurs à ceux devenus routine pour le régime. Une telle opération n’aura pas non plus un effet militaire décisif, comme met en garde le général Martin Dempsey. La mission (même à l’extrémité de la gamme des options) serait limité : détruire ou dégrader sérieusement la capacité du régime à utiliser les armes de masse contre les populations civiles. Une fois cette mission accomplie l’opération prendra fin. Une opération nous « engagerait-elle résolument dans le conflit ? », comme met en garde Dempsey dans sa lettre du 19 août 2013 au Représentant Eliot Engel. D’un côté, c’est à l’opposition syrienne, qui reçoit sans doute déjà un soutien des Etats Unis, que revient la responsabilité de diriger et gagner la révolution syrienne. D’un autre, les Etats-Unis ne sont pas un spectateur désintéressé. Il y a deux ans, le président des États-Unis a déclaré que Bachar al Assad devrait démissionner. Si ce n’est pas un engagement décisif par le patron du General Dempsey, on imagine difficilement ce qu’il pourrait être.
Kerry a parlé avec éloquence des tentatives de dissimulation du régime et de la certitude de sa responsabilité dans le dernier massacre chimique. Cela n’est pas de la pure rhétorique. Personne, pas même Vladimir Poutine, ne peut raisonnablement accuser l’administration américaine de rechercher une excuse pour intervenir en Syrie. S’il y avait le moindre doute sur la culpabilité et la responsabilité, cette administration reporterait probablement indéfiniment toute idée d’une action militaire. Suggérer que l’administration Obama saisit avec empressement un événement sur lequel subsisterait un doute pour faire ce qu’elle a envie de faire, c’est se méprendre sur la politique Syrienne de l’administration.
En effet, l’administration préfèrerait certainement une solution diplomatique. Aujourd’hui, seul un cessez-le feu unilatéral du régime, suivi par les étapes réclamées par Kofi Annan depuis bien longtemps dans son plan en six points, pourrait éventuellement éviter une opération militaire. Une telle démarche ouvrirait également la voie à une conférence à Genève. La probabilité que le régime saisisse une telle opportunité est quasi nulle.
La déclaration de Kerry est un indicateur fort qu’une action militaire est à venir. Si, lorsqu’elle intervient, elle est perçue dans la région ou au-delà, comme symbolique et faible, ce sera pire que de n’avoir rien fait. Ne rien faire aurait au moins le mérite de garder l’espoir (et la crainte) qu’une intervention importante est envisagée. Une simple intervention ne ferait qu’aggraver le problème de crédibilité qu’Assad tente de distiller. Même s’il est regrettable qu’il ait fallu l’utilisation d’armes chimiques pour que l’administration perçoive une obscénité morale et une obligation d’agir, le peuple syrien et leurs voisins accueilleront néanmoins une action qui fera vivre au régime une dose de ce qu’ils ont eux mêmes perpétré.