Les Échos de l’Agora. Jusqu’au pontificat de Jean XXIII, l’église romaine avait l’habitude de célébrer le magistère de Pierre, le coryphée des apôtres, à deux reprises. Le 18 janvier était consacré à la « chaire de Saint Pierre à Rome » et le 22 février à celui de la « chaire de Saint Pierre à Antioche » puisque, d’après la tradition hagiographique, Pierre fut évêque d’Antioche durant plusieurs années, avant de se rendre à Rome. En débarquant sur les rivages de l’ancienne province de Phoenicia Maritensis, le successeur de Pierre à Rome arrive dans une contrée jadis évangélisée par Pierre lui-même et son compagnon de route Quartos, premier évêque de Beyrouth. Dans la ville de Tripoli, la tradition des Apocryphes affirme que Pierre séjourna chez un certain Maro/Maroun.
Benoît XVI arrive, tout de blanc vêtu, dans un Orient qui parvient difficilement à se libérer des forces des ténèbres afin de proclamer la dignité éminente de la personne humaine ; son caractère inaliénable ; la suprématie de la valeur de l’individu sur toute idéologie de groupe ; toute identité sectaire ou factieuse ; et toute appartenance qui ne tiendrait pas compte du fait premier que la personne humaine est une fin en soi et que sa valeur indépassable lui est constitutive et ne dérive pas d’un rôle quelconque au sein de la société ou à travers l’histoire.
Mais que pourrait signifier ce magistère de Pierre aujourd’hui dans les circonstances précises que traverse l’Orient en ébullition ? Le rôle de « coryphée » ou chef de chœur est de faire en sorte que chaque membre de la chorale puisse donner le meilleur de lui-même tout en harmonisant son chant sur celui de tous les autres. C’est pourquoi, le grand public attend beaucoup de Benoît XVI en ces temps troublés et où le roulement des tambours de guerre l’emporte sur les chants joyeux de la paix et de la bonne entente.
Il y a urgence pour les chrétientés de l’Orient de tout mettre en œuvre pour reconstituer l’unité perdue de l’antique église d’Antioche. L’église de Rome peut beaucoup dans la revalorisation d’un principe fondamental de l’ecclésiologie : le principe de territorialité qui a fini par être occulté par le principe d’identité communautaire. La remise en valeur du principe de territorialité, auquel est attaché l’église latine, peut de faire en plusieurs étapes et commencerait par la célébration de Pâques à la même date, peu importe laquelle pourvu que tout le monde se réjouisse en même temps. Les différents magistères ne réalisent pas à quel point ceci est une demande pressante de la part des gens ordinaires.
L’Eglise est le gardien du seul commandement de Jésus de Nazareth : « aimez-vous les uns les autres ». Elle est aussi le porte-voix par excellence des « béatitudes » : Bienheureux les pauvres. Bienheureux les affligés. Bienheureux les miséricordieux. Bienheureux les artisans de paix. Bienheureux les doux. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice. Bienheureux les persécutés pour la justice.
Telles sont les paroles prophétiques qui, aujourd’hui, doivent parcourir ce monde arabe où des millions d’hommes offrent leur chair afin de se libérer de totues les tyrannies, notamment en Syrie. Au sein de ce monde arabe, le Liban de Taëf apparaît comme une mince lueur au cœur des ténèbres. Ce Liban, et non un autre, est peut-être le modèle le mieux adapté en vue de surmonter les périls de notre temps.
Ce Liban, colonne vertébrale de la pérennité du témoignage chrétien en Orient, est le cadre naturel pour rappeler aux différentes églises levantines le caractère très vénérable de leur antiquité. Les chrétientés orientales ne sont pas des produits de régimes politiques même si les difficultés de la coexistence avec l’Islam sont bien connues. Ces chrétientés seraient sans doute mieux inspirées si elles faisaient un peu moins de politique marquée par l’esprit de la dhimmitude qui les a imprégnées durant de longs siècles. Elles sont naturellement invitées à quitter le giron infâmant et humiliant d’être une simple cohorte auxiliaire d’un régime politique.
Mais le Liban de Taëf est la tribune naturelle du haut de laquelle Pierre peut s’adresser au monde pour rappeler que le vivre-ensemble des hommes est d’abord entre individus conscients de leurs droits et de leurs devoirs et non entre groupes religieux. Il appartient à Pierre de trouver les mots d’aujourd’hui pour répéter ce que jadis le nazaréen avait affirmé (Donnez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu) :
« Donnez à l’homme tout ce qui est à l’homme et ne prenez pas Dieu en otage ».
acourban@gmail.com
* Beyrouth