Depuis plus de deux mois, les Syriens qui s’obstinent à descendre dans les rues pour affirmer leur droit à décider par eux-mêmes de leur avenir et demander le départ de Bachar Al-Assad, réclament une protection internationale. Les manifestations du vendredi 9 septembre ont largement repris ce thème. La réponse des services de sécurité n’a été une surprise pour personne : au cours de cette seule journée, la répression a fait 13 morts supplémentaires à Homs, Idlib, Deïr al Zor et Hama.
Durant les deux mois qui ont suivi, les massacres sont allés crescendo, comme si le régime syrien, redoutant que la communauté internationale entende et finalement réponde à cet appel à l’aide, cherchait à faire définitivement basculer la situation à son avantage en redoublant de férocité. Selon les décomptes minutieux des Comités Locaux de Coordination, 1 411 Syriens ont depuis ce jour-là trouvé la mort, parmi lesquels près d’une centaine d’enfants.
Lundi 14 novembre, le ministre français des affaires étrangères, Alain Juppé, a reconnu que « le moment était venu de voir comment nous pouvons protéger davantage les populations ». La chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, est allée dans le même sens, exprimant la « préoccupation » de l’Union Européenne pour les civils en Syrie et la nécessité d’examiner en liaison avec la Ligue arabe « ce qui peut être fait pour les protéger ».
Une intervention militaire étrangère n’est pas à l’ordre du jour. Profondément divisée sur la question, la communauté internationale n’y est pas favorable. Les Syriens révoltés contre le régime de Bachar Al-Assad ne l’ont d’ailleurs jamais réclamée. Certains appellent de leurs vœux une « intervention arabe ou turque », mais pas davantage. C’est à d’autres moyens qu’ils pensent pour leur permettre de poursuivre jusqu’à son terme leur mouvement de revendication pacifique.
Ils souhaitent d’abord l’entrée sur le territoire syrien d’observateurs impartiaux, juristes ou journalistes, qui puissent se déplacer librement dans l’ensemble du pays, recueillir les témoignages des habitants, et rapporter à l’opinion publique internationale la réalité de ce qui se déroule en Syrie loin des regards depuis huit mois. Rappelons encore une fois que ce ne sont pas les manifestants qui tiennent les médias internationaux à distance, mais le régime syrien. C’est donc lui et lui seul qui a quelque chose à cacher. On comprend qu’il ne soit pas très fier de ses agissements…
En attendant ce jour, un autre instrument de protection existe. Les manifestants, qui refusent de prendre eux-mêmes les armes pour faire aboutir leurs revendications politiques, ont en effet trouvé leur meilleure protection dans les soldats qui désertent l’armée, assujettie à la sauvegarde du seul clan présidentiel et transformée en instrument d’oppression de la population. Ils en ont fait à plusieurs reprises l’expérience, lorsque, protégés par des éléments de l’Armée Syrienne Libre qui interdisaient aux forces de répression d’accéder aux lieux des manifestations, des habitants de Homs et de Hama ont pu se réunir en nombres imposants pour réclamer la chute du régime.
Ce qu’ils demandent donc à la communauté internationale, ou au moins aux pays qui expriment avec eux leur solidarité, c’est de fournir à cette Armée Syrienne Libre, qui assure aux manifestants la sécurité qu’ils ne trouvent pas ailleurs, les moyens de poursuivre sa mission. Ils ne veulent pas créer par les armes un nouveau rapport de forces. Ils n’attendent pas que les déserteurs puissent parvenir, à un moment ou un autre, à défier l’armée en rase campagne. Ils souhaitent uniquement pouvoir continuer de sortir dans les rues pour des démonstrations pacifiques, sans être exposés aussitôt à la sauvagerie des forces du régime.
Ils en ont le droit. Depuis la levée de l’état d’urgence, le 21 avril 2011, les manifestations sont encadrées par une loi spécifique, promulguée le même jour. Mais son application est discrétionnaire. Les « masirât » (marches) des partisans du régime peuvent se dérouler sans même qu’ils aient à solliciter une autorisation… puisqu’elles sont organisées, financées, encadrées, surveillées, animées, contrôlées par les moukhabarat. En revanche, les « mouzâharât » (démonstrations) des opposants ont toujours été interdites. Et réprimées avec une brutalité de semaine en semaine confirmée.
Les contestataires qui veulent eux aussi bénéficier de ce droit, attendent aujourd’hui de ceux qui soutiennent leurs justes revendications qu’ils fournissent à « leur » armée les munitions et les armes antichars dont elle a besoin, et qu’ils lui assurent, en définissant une zone d’interdiction de survol, des positions de repli. C’est ce qu’ils ont exprimé, le 28 octobre, en appelant à l’instauration d’une zone d’interdiction de survol.
Les Etats qui entendent apporter aux Syriens la protection dont ils ont besoin savent donc ce qu’il leur reste à faire, s’ils souhaitent que leur mouvement citoyen de protestation pacifique ne dégénère pas, comme le régime l’attend depuis des mois, en une guerre civile.
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