Les sites Internet de l’opposition syrienne ont mis en ligne, le 10 juin 2011, des images captées avec un téléphone portable qui montrent des employés de l’Etat occupés à démonter à Hama une statue monumentale de Hafez Al Assad. Alors que la répression faisait le même jour, « Vendredi des tribus », près de 50 morts dans l’ensemble du pays, dont plus des deux tiers dans la seule ville d’Idlib, ces images ont rempli d’aise ceux qui les ont visionnées. Elles démontraient que le régime, de moins en moins convaincu de sa capacité à protéger les symboles de sa puissance et à se maintenir en place, commençait à récupérer ce qu’il avait de plus cher pour le mettre à l’abri, si ce n’est pour l’emporter bientôt avec lui.
Edifiées aux entrées et aux sorties de la plupart des villes et des villages de Syrie, souvent aussi au centre des agglomérations, sur les places et dans les jardins publics, ces statues étaient destinées à ancrer dans l’esprit des Syriens qu’ils vivaient bien dans « la Syrie des Al Assad ». L’effigie du « ra’îs ilâ l-abad » (président à vie), devenu depuis son décès « al-qâ’id al-khâled » (dirigeant éternel), qui ornait également les façades de nombreux monuments publics, était censée inspirer à tous une crainte révérencielle. Lever la main sur l’une de ces représentations signifiait se révolter contre son autorité, et cet acte insensé pouvait valoir à son auteur des années de prison sans jugement.
Lors de son accession au pouvoir, en juillet 2000, le président Bachar Al Assad s’est abstenu d’exiger le retrait des représentations de son père, même lorsqu’elles dénaturaient les paysages, comme les esquisses que réalisaient des militaires avec des pierres sur des pans entiers de montagne à proximité de leurs cantonnements, ou lorsqu’elles menaçaient la sécurité des automobilistes, comme les posters occultant la vision à travers les vitres arrières des véhicules. Ayant hérité du pouvoir dans les conditions que l’on sait, au mépris des principes du Parti Baath dont il avait également reçu la direction en partage, le jeune chef de l’Etat se devait de manifester, en laissant les images et effigies de son père là où elles se trouvaient déjà, qu’il s’inscrivait sans restriction dans la ligne tracée par le fondateur de la dynastie.
En revanche, il s’est discrètement attaqué aux photos de son frère aîné, Basel Al Assad, qui lui avait ouvert les portes de la succession en trouvant la mort sur la route de l’aéroport international de Damas, au volant de sa grosse cylindrée, le 21 janvier 1994. Militaire de carrière et cavalier émérite, le colonel Basel représentait « l’espoir » pour ceux qui s’étaient faits à l’idée, faute de disposer des moyens de la contrecarrer, qu’il prendrait un jour la relève de son père Hafez Al Assad à la tête du parti et du pays. Son image, en particulier sur les cars et camions de l’armée, rappelait continuellement au nouveau chef de l’Etat qu’il n’était, de fait, qu’un président par raccroc. Les Syriens qui les apposaient sur les murs de leur boutique ou à l’arrière de leur véhicule privé n’entendaient pas l’insulter, mais faire acte d’allégeance à la famille Al Assad dans son ensemble et afficher publiquement leur vénération pour le père, le fils… et le fils cadet. Pour d’autres, cet acte de dévotion était moins innocent. Il constituait le moyen le plus sûr de prévenir un certain nombre d’ennuis, avec la police en particulier, puisque, placées en évidence sur les vitres arrières, de telles photos assuraient une relative impunité à ceux qui transgressaient le code de la route, circulant sans feux, empruntant les sens interdits ou stationnant hors des emplacements autorisés.
Chef d’Etat « moderne », Bachar Al Assad a ordonné, au début de sa première présidence, de ne pas lui dresser de statue et de restreindre l’exposition de son image à l’intérieur des bureaux officiels. Mais, s’il est parvenu à faire respecter cette directive durant quelques mois, la fin du « Printemps de Damas », en septembre 2001, a aussi marqué un retour en Syrie du culte du chef. Sa mise en avant, après la période de flottement au cours de laquelle des Syriens avaient imaginé que les choses pouvaient changer dans leur pays, devait signifier que la récréation était terminée et que le jeune président avait repris les choses en main. Au cours des années suivantes, ébranlé par la guerre en Irak et la défaite de Saddam Huseïn en 2003, par les conséquences de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Al Hariri en 2005, par la guerre entre Israël et le Hezbollah au Liban durant l’été 2006, le régime a eu besoin de marquer qu’il restait uni autour de son chef. Avec ou sans son consentement, des photos de Bachar Al Assad se sont multipliées partout, le montrant en compagnie des héros de l’heure, tantôt avec Hasan Nasrallah, tantôt avec le secrétaire général du Parti de Dieu et son grand allié dans la région, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad.
Ni les statues du père, ni les photos du fils n’ont constitué, au début du mouvement de protestation populaire, en février / mars 2011, des cibles pour les manifestants. Ils désiraient sortir et défiler dans les rues pour réclamer la liberté et la dignité, et ils étaient prêts à laisser Bachar Al Assad procéder lui-même, s’il le voulait et s’il le pouvait, aux réformes qu’ils attendaient. L’attaque contre une représentation de la compagnie de téléphonie mobile Syriatel, à Daraa, au milieu du mois de mars, ne constituait pas d’abord un signe de défiance ou d’hostilité à son égard. Elle traduisait plutôt leur espoir que le chef de l’Etat entendrait leurs dénonciations de la corruption, et qu’il aurait la lucidité et le courage de sanctionner ceux qui, dans son proche entourage et dans sa propre famille, à commencer par son cousin Rami Makhlouf, faisaient du tort à la Syrie, aux Syriens… et à l’image présidentielle.
La mise à terre de la statue de Hafez Al Assad, dans la même ville de Daraa, est intervenue lorsque qu’il est apparu aux familles des victimes et à l’ensemble des manifestants qu’il ne servait à rien de réclamer la liberté et la dignité à un régime sourd et autiste, incapable de répondre à leurs attentes et uniquement soucieux, en usant de la force, de se maintenir en place. Leur objectif ne pouvait plus se limiter à des réformes. Pour parvenir à ces dernières, il fallait renverser le régime et obtenir le départ de Bachar Al Assad. Avec un temps de retard, et après avoir été victimes de la même répression, les manifestants de Lattaquié, Homs, Banias, Douma, Deir al Zor, Rastan, Hama… ont finalement abouti à la même conclusion. Ils ont attaqué et détruit partout les effigies présidentielles, signifiant au chef de l’Etat que, puisqu’il ne voulait pas entendre sa population, il n’avait plus sa place à la tête du pays.
En démontant les statues et en mettant en lieux sûrs les photos des Al Assad père et fils, les autorités syriennes reconnaissent implicitement leur défaite. Elles avouent qu’elles sont désormais incapables de protéger ces symboles d’un pouvoir jusqu’ici incontesté, qu’elles ont peur de voir profaner. En entamant cette opération le 10 juin 2011, soit 11 ans jour pour jour après le décès de Hafez Al Assad, le 10 juin 2000, elles admettent que la Syrie n’est pas – ou n’est plus – la propriété d’un « président à vie » ou d’un « chef pour l’éternité ». En les mettant hors d’atteinte de la colère populaire, tout en laissant les militaires, les moukhabarat et les voyous au service du régime tirer à balles réelles sur les protestataires, arrêter et torturer par milliers jeunes et moins jeunes, bombarder villes et villages, brûler les récoltes et décimer les troupeaux, contraindre à la fuite des familles entières, elles confirment qu’elles sont indifférentes au sort de leurs concitoyens, qui n’ont aucune importance comparés aux « idoles » – comme disent les manifestants – de la famille Al Assad.
Avant que la contestation débute en Syrie, les services de sécurité avaient conseillé au chef de l’Etat de faire procéder à la mise à l’abri des statues de son père et de ses propres représentations. Mais, persuadé comme on le sait que son discours de résistance et d’obstruction le maintiendrait à l’abri des troubles intervenus ailleurs, et qu’il n’aurait aucune difficulté, en recourant aux méthodes expéditives jadis utilisées à Hama par son père, à contraindre les protestataires à rentrer chez eux, Bachar Al Assad s’est abstenu de suivre leur recommandation. L’effet de son initiative tardive est pour lui déplorable : elle donne le sentiment qu’il range ses affaires, commence à faire ses bagages et s’apprête à partir.
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Le régime de Bachar al Assad commence à ranger ses affaires
C’est trop beau pour etre vrai. Au vu du rapport de forces interne et a l’impuissance de la comunaute internationale, Assad fils est appele a rester au pouvoir…pour le moment