Au cours des dernières semaines, le régime syrien a modifié sa stratégie vis-à-vis de « l’opposition classique », qu’il s’agisse des partis regroupés dans le Rassemblement National Démocratique ou des forces et personnalités réunies dans la Déclaration de Damas.
Rappelons, pour ceux dont l’intérêt pour la Syrie est récent, que le Rassemblement National Démocratique a été créé en 1979, sous l’impulsion du Dr Jamal Al Atassi et de l’avocat Riyad Turk en particulier, pour offrir un cadre aux formations politiques qui refusaient d’adhérer au Front National Progressiste. Placé sous la houlette, ou plutôt sous la férule du Parti Baath, le Front devait permettre à son secrétaire général, Hafez Al Assad, de se prévaloir dans toutes ses décisions du consensus plus ou moins spontané des partis politiques tolérés. Le Rassemblement, qui affichait son attachement à la démocratie plutôt qu’au progressisme, réunissait les partis qui s’étaient mis en quelque sorte hors jeu, condamnés à une semi-clandestinité, pour avoir refusé de sacrifier leurs principes aux privilèges attachés à l’entrée dans le Front : des postes de ministres, des sièges à l’Assemblée du Peuple, des voitures et des logements de fonction, une certaine liberté d’action… Le Rassemblement regroupait et regroupe encore le Parti de l’Union Socialiste Arabe Démocratique, le Parti Communiste / Bureau Politique aujourd’hui rebaptisé Parti Démocratique du Peuple, le Parti Baath Démocratique, le Parti des Socialistes Arabes et le Parti Révolutionnaire des Travailleurs.
Rendue publique en octobre 2005, la Déclaration de Damas expose son programme dans son intitulé complet : « Déclaration de Damas pour le Changement National Démocratique Pacifique en Syrie ». Elaborée par des intellectuels de diverses tendances et conçue comme une plate-forme ouverte aux partis déjà constitués, aux organisations de la société civile, aux associations de défense des Droits de l’Homme et aux simples citoyens sans engagement politique préalable, la Déclaration a réuni au-delà des partis du Rassemblement National Démocratique. Figurent en effet parmi ses signataires, d’une part les Frères Musulmans, interdits en Syrie depuis la loi 49 de 1980 qui les condamne à mort, et d’autre part le Parti de l’Action Communiste, créé au milieu des années 1970 pour redynamiser le Parti Communiste Syrien. La Déclaration de Damas a réuni son premier congrès, le 1er décembre 2007, mais le pouvoir a aussitôt arrêté et emprisonné pour deux ans et demi une douzaine de ses principaux dirigeants.
Jusqu’à la fin du mois de mars, les services syriens de sécurité avaient largement ignoré cette opposition. Il faut dire que, si ses principales figures sont respectées par la population, elles n’ont aucune influence directe sur la rue. Par ailleurs, ni les membres, ni les dirigeants des partis qui la composent ne semblaient jouer un rôle moteur dans le mouvement de manifestations. La campagne d’arrestations ciblées qui a commencé au début du mois d’avril, a abouti à l’emprisonnement à ce jour d’un nombre important de militants et de responsables.
Sans prétendre être exhaustif, on peut mentionner : Ahmed Maatouq (membre du Parti de l’Union Socialiste Arabe Démocratique, arrêté le 8 avril), Najati Tayyara (vice-président de l’Association Arabe des Droits de l’Homme en Syrie, le 8 avril), Fayez Sara (membre fondateur des Comités de la Société Civile et membre de la Déclaration de Damas, le 9 avril), Georges SABRA (membre du comité central du Parti du Peuple Démocratique, le 10 avril), Ghiyath Ouyoun al Soud (premier secrétaire du Parti du Peuple Démocratique, le 12 avril), Mahmoud Issa (membre du Parti de l’Action Communiste, le 19 avril), Abdel-Naser Kahlous (membre du Forum Jamal al Atassi pour le Dialogue Démocratique, le 25 avril), Mohammed Omar Kardas (membre du bureau politique du Parti de l’Union Socialiste Arabe Démocratique, le 25 avril), Qasem Azzawi (militant des Droits de l’Homme, le 26 avril), Hazem Nahhar (dirigeant du Parti Révolutionnaire des Travailleurs, le 28 avril), Fahmi Yousef (dirigeant du Parti du Peuple Démocratique, le 29 avril), Hassan Abdel-Azim (secrétaire général du Parti de l’Union Socialiste Arabe Démocratique et porte-parole du Rassemblement National Démocratique, le 30 avril), Omar Qachach (membre dirigeant du Parti du Peuple Démocratique, le 30 avril), Riyad Seif (président du secrétariat général de la Déclaration de Damas, le 6 mai)…
Ces hommes ont plusieurs traits communs. Ils ne sont en général plus très jeunes, leur doyen étant Omar Qachach, qui est âgé de 85 ans. Tous sont passés par la case prison, certains du temps de Hafez Al Assad, d’autres sous la présidence de Bachar Al Assad. Une moitié d’entre eux a bénéficié de l’hospitalité des geôles du régime à ces deux reprises. Aucun, en revanche, n’est considéré comme radical ou extrémiste, plusieurs étant par nature ou par raison disposés à dialoguer avec le pouvoir et favorables, dans la mesure du possible, à une sortie de crise négociée.
Puisqu’il ne s’agit donc pas de ces affreux « wahhabites », « salafistes » ou « terroristes islamiques » que le pouvoir syrien veut voir et dénonce contre toute vraisemblance derrière les manifestants qui descendent dans les rues pour réclamer liberté et démocratie, pourquoi ont-ils été emprisonnés ? Pour deux raisons.
Tous ou presque ont pris le risque de répondre aux questions de médias étrangers, dont on sait qu’ils sont tenus à bonne distance des événements qui se déroulent en Syrie. Ce faisant, ils ont brisé l’omerta que le pouvoir impose sur la véritable guerre qu’il mène contre ses propres citoyens. Ils ont non seulement fourni un autre récit que le discours officiel sur l’origine de la protestation et le déroulement de la répression, mais, pour certains d’entre eux, ils ont fermement démenti la propagande du régime. Et ils ont parfois démontré que ce n’étaient pas de « dangereux terroristes infiltrés dans le pays depuis l’étranger » qui avaient assassiné les soldats et officiers décédés en opération, mais d’autres militaires, pour les punir d’avoir refusé les ordres et de n’avoir pas ouvert le feu sur les manifestants.
Les autres, et parfois aussi les mêmes, ont été mis à l’ombre pour signifier à la population en général, et à la classe politique en particulier, qu’il n’y aurait pas de dialogue. Ceux qui imaginaient que, à un moment ou un autre, Bachar Al Assad accepterait de faire taire les armes pour laisser parler la raison, entendre les revendications et étudier avec des représentants des protestataires le moyen d’y répondre devaient cesser de rêver. Certes, rien ne dit que les manifestants, au cas où le régime serait sorti de son autisme pour se résoudre à discuter, auraient choisi pour parler en leur nom l’un ou l’autre des dirigeants politiques en ce moment détenus. Mais, en écartant ceux qui apparaissaient, aujourd’hui au moins, les mieux disposés ou les plus aptes à s’asseoir avec lui pour envisager une solution, le pouvoir fait savoir à tous les Syriens qu’il entend bien mener au bout ce qui constitue aujourd’hui sa seule ligne de conduite : faire taire les protestations des Syriens, les faire rentrer chez eux, et rétablir, plus épais et plus hermétique que par le passé, le mur de la peur qu’ils tentent de renverser sur lui pour l’écraser ou pour le contraindre à fuir.
Les arrestations d’opposants confirment que le régime syrien n’entend pas dialoguer Ces informations ne font que confirmer ce qui etait previsible : le choix du regime de privilegier la repression et le caractere fallacieux des promesses de reforme de Bachar el Assad qui a menti a tous ses interlocuteurs y compris les presidents Chirac et Sarkozy. Malheureusement il semble que cette strategie soit payante et que l’opposition soit impuissante a renverser le regime. Meme affaibli, isole et deligitimise, il survivra a l’epreuve. Tel pere tel fils a la difference que si Deraa n’a pas subi le sort de Hama c’est… Lire la suite »