LE MONDE
TÉHÉRAN ENVOYÉE SPÉCIALE
Marie-Claude Decamps
Avec ses dômes vernissés qui scintillent sous la lune, la nuit, on dirait un mirage aux portes de Téhéran : l’imam Khomeyni est mort en juin 1989, mais son immense mausolée, hérissé de grues, est toujours inachevé. En est-il de même de sa révolution qui mit fin au régime du chah et fête son trentième anniversaire ? Et a-t-elle tenu ses promesses : « Indépendance, république islamique, liberté » ?
Il neige sur Téhéran. Le mont Alborz se perd dans la brume, mais, malgré le froid, les sentinelles sont vigilantes. Dans ce complexe militaire au nord de la ville tenu par les gardiens de la révolution, l’armée idéologique du régime qui a gagné galons et puissance lors des huit ans de guerre contre l’Irak (1980-1988), on n’entre pas facilement. Surtout pour voir Mohsen Rezai, leur chef « historique ». Celui qui, à 27 ans, prit la tête de ce corps redouté et créa les services de renseignement militaires de la République islamique. A 56 ans, il est aujourd’hui secrétaire général du Conseil de discernement, rouage-clé du régime.
A lors quel bilan dresse-t-il, lui qui était si proche de l’imam qu’il lui écrivit « 400 pages de lettres, le tenant au courant du détail de chaque offensive » ? « En trente ans, l’Iran a plus progressé qu’en trois siècles, en matière de défense, de sécurité, de renseignement, dit-il avec fierté. Nous sommes la première puissance régionale comparée à l’Arabie saoudite, au Pakistan, à la Turquie ou aux sionistes. Même chose pour notre influence politique, voyez le Liban ou même la Palestine ! » Et de conclure : « Non seulement nous sommes dans les dix premières puissances mondiales en matière de défense, mais nous avons constitué un Etat-nation indépendant. Certaines de nos décisions peuvent ne pas plaire, mais ça arrive ailleurs. Bush, lui, n’était même pas agréable à son propre peuple… » Voilà pour l’indépendance.
Les lourdes tentures noires du deuil chiite du Moharam courent sur les murs du journal Keyhan. Le groupe de presse est un bastion conservateur. Cultivé, la voix suave, Hossein Chariat Madari, le directeur, est un rescapé des geôles du chah. Après l’assaut contre l’ambassade américaine en 1979, il enseignait aux étudiants preneurs d’otages la « guerre psychologique ». Il nous parlera, lui, de cette République islamique dont il est un des idéologues. Même si à son avis « tout n’est pas encore accompli » dans cette révolution, qui était « une lame de fond basée sur les valeurs de l’islam dépoussiérées par Khomeiny ». Une analyse partagée par les fondamentalistes proches du président Ahmadinejad : « Certains pensent que l’islam n’a rien à voir avec la politique, c’est le contraire. Pour l’islam il n’y a ni mer ni frontières, il défend les peuples opprimés. Le gouvernement islamique a commencé à Téhéran, cela veut-il dire qu’il doit se limiter à l’Iran ? Voyez en Turquie, ils ont élu des partis islamiques. » La démocratie est-elle compatible ? Il a un petit sourire : « N’est-ce pas le gouvernement du peuple par le peuple ? Nous avons nos élections. Avec seulement une ligne rouge, les préceptes de l’islam. »