L’alliance syro-iranienne n’est pas seulement diplomatique. Pour faire face aux sanctions américaines, les deux pays ont choisi de renforcer leur coopération économique.
A une demi-heure de voiture au nord de Damas, dans une plaine isolée et balayée par les vents, la nouvelle ville industrielle d’Adraa est en train de surgir de terre. En partenariat avec le gouvernement syrien, le fabricant automobile iranien Khodro Iran vient d’y construire la première usine de construction automobile de Syrie. La première voiture de fabrication syrienne devrait sortir de la chaîne de montage en mars prochain.
“Nous avons passé beaucoup de temps à chercher des partenaires, jusqu’à ce que les Syriens nous fassent une offre attrayante. Personne d’autre n’était intéressé”, rapporte Ziad Kutayni, le président de l’entreprise publique iranienne Handasieh, qui détient une participation majoritaire dans ce projet de 45 millions d’euros et qui supervise la construction et le fonctionnement de l’usine.
Se rapprocher pour résister aux sanctions américaines
Au grand mécontentement des Etats-Unis et des pays arabes pro-occidentaux de la région, les alliés historiques que sont la Syrie et l’Iran se sont encore rapprochés ces dernières années. Soumis l’un et l’autre à des sanctions américaines et relativement isolés économiquement, ils font preuve d’une volonté grandissante de riposter par une consolidation de leurs relations économiques bilatérales. En plus de leur partenariat dans la construction automobile, d’autres investissements iraniens sont prévus en Syrie : une cimenterie, une verrerie, des silos à grain, une exploitation laitière et un nouveau système de transports publics.
Le président de la Syrie Bachar El-Assad s’est rendu à Téhéran le 17 février pour rencontrer son homologue iranien, Mahmoud Ahmadinejad. La principale question à l’ordre du jour était le rôle des deux pays en Irak et au Liban. Selon Abdallah Dardari, vice-Premier ministre syrien chargé des affaires économiques, les liens politiques étroits entre les deux pays montrent que l’intérêt accru que l’Iran manifeste pour la Syrie n’est pas simplement de nature économique. “Il est à la fois politique et économique. Dans le monde interdépendant qui est le nôtre, il est impossible de limiter les relations d’un pays à l’un des deux domaines : ils sont inséparables. Quand je reçois des hommes d’affaires iraniens, je me montre très accueillant. Nos relations sont excellentes”, affirme-t-il.
Une raffinerie financée par le Venezuela et l’Iran
Le gouvernement syrien n’a pris aucune mesure officielle – incitations fiscales ou autres – pour attirer les investisseurs iraniens. Mais, au dire d’un économiste syrien qui souhaite conserver l’anonymat, les autorités semblent favoriser les contrats avec les entreprises iraniennes.
Cet homme explique que les principaux obstacles rencontrés par les investisseurs pour s’implanter en Syrie ne sont pas apparents, mais que, si un haut fonctionnaire bienveillant n’intervient pas pour accélérer les choses, la procédure d’approbation des permis, projets et autres propositions peut rester bloquée indéfiniment. Seuls les Iraniens, selon lui, ne rencontrent pas ce genre de problèmes.
Mais, si les investissements directs iraniens ont connu un essor spectaculaire en 2006, la majeure partie des projets – dont le montant total est estimé entre 1,5 et 2,3 milliards d’euros, et au nombre desquels figure une raffinerie de pétrole d’un peu plus de 1 milliard, en partenariat avec le Venezuela – n’existent encore que sur le papier. Sur les milliards d’investissements directs étrangers annoncés par la Syrie chaque année, seule une faible partie se concrétise. Selon le même économiste syrien, le montant réel est de l’ordre de 150 millions à 230 millions d’euros par an, même si la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNTACD) l’a estimé à 400 millions pour 2005. On est loin des 1,5 milliard d’euros annoncés pour 2006, un chiffre officiel considéré comme irréaliste par les économistes.
Pour échapper aux entraves administratives, l’économie syrienne est en train de passer d’un régime planifié à ce qu’elle présente comme un système d’“économie sociale de marché”. En 2006, le produit intérieur brut du pays, en hausse de 5 %, a été estimé à 20 milliards de dollars.
Mais les revenus syriens du pétrole et du gaz ont augmenté grâce à la hausse des cours, et ils pourraient chuter dans les cinq à dix prochaines années étant donné que les réserves sont en voie d’épuisement.
Le bas niveau des investissements en Syrie est considéré comme l’une des faiblesses de l’économie de ce pays. Mais M. Dardari assure que la situation est en train de s’améliorer depuis l’entrée en vigueur de nouvelles lois. Selon lui, une grande partie des projets bloqués jusqu’ici vont être mis en œuvre, et les investissements iraniens en particulier vont trouver de solides débouchés.
Financial Times
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