Intimidées, convoquées au tribunal, emprisonnées pour atteinte à la sécurité nationale, celles qui défendent les droits de la femme ont la vie dure en Iran. Aujourd’hui, les Iraniennes contournent la censure en racontant leurs déconvenues sur leurs blogs Internet.
C’est leur nouveau refuge, un espace qui résiste à tous les coups de ciseaux de la censure, et où les matraques de la police ne peuvent pas frapper. Interdites de manifester et privées de tribunes d’expression, les Iraniennes ont trouvé la solution : le « bloguistan », surnom persan donné à la blogosphère. Un univers virtuel de tous les possibles, où elles « crachent » sur le régime, racontent leur vie sexuelle et défient subtilement les tabous. Sans limite.
« C’est, pour les Iraniennes, un moyen de dire : »Nous résistons et nous continuerons à nous mobiliser à n’importe quel prix*, malgré les arrestations, malgré les pressions », constate la sociologue Masserat Amir Ebrahimi, qui y voit la manifestation d’un « nouveau mouvement social ».
En janvier, alors qu’elles s’apprêtaient à rejoindre New Delhi pour assister à une conférence, trois activistes féministes sont arrêtées à l’aéroport Imam Khomeyni et échouent à la prison d’Evine. Branle-bas de combat sur le Net. Telle une étoile filante, la nouvelle fait le tour des blogs.
« Talat Taghinia, Mansoureh Shojai et Farnaz Seyfi ont été arrêtées, faites passer le message », alertent plus d’une centaine de webzines. En un éclair, l’incident arrive aux oreilles de la presse internationale et des organisations de défense des droits de la femme.
Il existe 700 000 blogs en persan, dont une bonne moitié serait tenue par des femmes.
Zohreh Soleimani pour Le Figaro..
Force de l’Internet ? En moins de 48 heures, les trois Iraniennes sont finalement libérées. En d’autres temps, où l’information restait facilement censurable, leur histoire aurait été tenue au plus grand secret. Et leur sort largement plus incertain. C’est grâce à l’Unicode, qui rendit l’utilisation du persan possible sur l’Internet dès 2001, que les Iraniennes ont pu se lancer de plain-pied dans la résistance virtuelle.
On dénombre aujourd’hui quelque 700 000 blogs rédigés dans la langue de Hafez, parmi lesquels une bonne moitié serait tenue par des femmes. Très vite, le « bloguistan » s’est imposé comme l’espace idéal de la contestation.
Les nombreux reporters, qui enchaînent péniblement les fermetures de journaux au gré des soubresauts politiques, en ont fait leur nouveau défouloir. C’est en se passant des messages sur Internet que les Iraniennes fans de foot, interdites de stades, réussirent, l’année dernière, à organiser clandestinement des manifestations et à se glisser dans les gradins. C’est aussi par le biais d’une gigantesque pétition électronique que les féministes ont lancé la campagne « Un million de signatures » réclamant l’abolition des discriminations dont elles sont victimes.
Au regard de la loi iranienne, inspirée par la charia, la femme ne vaut, en effet, bien souvent que la moitié d’un homme. C’est le cas, notamment, en matière de témoignage devant un tribunal et d’héritage. La force de ces petits journaux de l’Internet a même récemment joué un rôle dans l’annulation de la peine de mort de jeunes condamnées. Une première.
Mais la magie du blog en Iran ne s’arrête pas là. Dans un pays dominé par la morale islamique et par des moeurs patriarcales, il sert souvent d’exutoire aux Iraniennes d’en bas, celles qui n’appartiennent ni à un groupe politique d’opposition, ni à une association de défense des droits de la femme. Avec un sacré avantage : l’anonymat.
« Madame la prune », « Madame Soleil », « L’épouse »… Qu’elles soient étudiantes, femmes au foyer, lesbiennes ou islamistes, elles sont nombreuses à s’être réinventées une identité pour mieux se lâcher. « Grâce au blog, l’Iranienne peut tout dire », analyse Masserat Amir Ebrahimi. Une sorte de mise à nu intégrale, où tous les sujets qui fâchent, y compris les questions sexuelles, sont abordés dans les moindres détails. « Coucher avec n’importe quel homme ? Ce n’est pas un problème », confie l’une d’entre elles, sous pseudonyme, sur son cyberjournal. Son blog, entièrement dédié au récit de ses ébats sexuels, vient briser le sacro-saint tabou de la virginité avant le mariage.
Mais, rançon du succès, la mobilisation virtuelle n’est pas sans risque. À l’automne 2004, une dizaine de cyberjournalistes se retrouvèrent au cachot pour s’être trop « lâchés » dans leurs écrits.
Depuis, les autorités ne cessent de bloquer, au compte-gouttes, des milliers de blogs et de sites. Au début de l’année, nouvelle offensive gouvernementale : les blogueurs sont, cette fois-ci, sommés de faire enregistrer leur nom, sous peine d’être filtrés.
Combat perdu d’avance : dès le lendemain, Parastoo, une des rebelles les plus contestataires du Web, lance un pied de nez à cette nouvelle directive en ajoutant un bandeau sur le côté droit de son journal électronique, frappé d’un : « Je n’enregistrerai pas mon site ! » Très vite, d’autres blogueuses emboîtent le pas en dénonçant une « directive puérile ».
Parfois, un site peut être, en effet, bloqué, seulement parce qu’il contient le mot « sexe » ou « femme ». « C’est ridicule », souffle une blogueuse révoltée. « Quid d’une gynécologue qui a besoin de faire des recherches sur l’Internet ? », s’insurge-t-elle.
Espiègle dans l’âme, cette jeune pro du Web a appris, comme ses camarades des sites féministes les plus en vue – Zanestan, Meydaan, We-change… – à créer une nouvelle adresse à chaque fois que la censure s’abat sur son blog et à en informer ses lecteurs par e-mail.
Et pour parler d’amour, elle se réfugie dans la métaphore.
« La censure nous pousse à être plus créatives ! », ricane-t-elle.
http://www.lefigaro.fr/reportage/20070428.FIG000000652_en_iran_les_femmes_investissent_le_bloguistan.html