Des caricatures du prophète Muhammad à l’autodafé récent du Coran à Stockholm, en passant par le massacre de Charlie-Hebdo, un climat malsain brouille toute analyse objective souhaitant comprendre les différents statuts du fait religieux au sein de l’espace public. S’agit-il d’une violence religieuse « sui generis »? Ou d’une violence induite par les religions séculières ? Voire d’une violence chaotique d’un conflit des cultures ? Concernant le blasphème de Stockholm, s’agirait-il d’une violence politique planifiée, mais savamment déguisée en » clash des civilisations » ?
Salwan Momika, 37 ans, auteur de l’autodafé du Coran à Stockholm, est un irakien chrétien syro-araméen, réfugié politique en Suède depuis 2018. Son geste est blasphématoire aux yeux de tout fidèle musulman. Il est agressif et inopportun pour tout homme de bon sens. Annoncé à l’avance, il déploie ses multiples conséquences sur plus d’un registre :
- Il embarrasse les autorités suédoises qui ont autorisé ce geste dans leur espace public, au nom de la liberté d’expression de tout homme. L’adhésion de la Suède à l’OTAN pourrait s’en trouver affectée à cause de la réaction de la Turquie.
- Il embarrasse et met en péril les chrétiens irakiens et toutes les chrétientés de l’Orient. Le récent harcèlement du Cardinal Sako en est une illustration.
- Par ses retombées au sein de l’Islam, il amplifie l’image négative de ce dernier au sein de l’opinion publique internationale. Cette image négative affecte surtout les Sunnites, largement majoritaires. Des décennies d’activisme terroriste ont fini par assimiler Islam et violence. L’opinion publique ne se pose pas la question de savoir qui manipule et instrumente cette violence essentialisée en une religion.
- Il fragilise encore plus l’équilibre délicat du vivre-ensemble dans les sociétés plurielles de notre monde globalisé.
- Il porte atteinte au concept de fraternité humaine proclamé à Abu Dhabi en 2019 par la plus haute autorité sunnite, l’Imam d’Al Azhar Ahmad al Tayyib, et par le Pape François de Rome.
- Il défigure l’image de l’Occident sécularisé en assimilant sa laïcité paisible à un athéisme militant.
- Il renforce les courants identitaires et/ou populistes, qui souhaitent le repliement sur soi, au sein d’entités politiques homogènes, dirigées par un pouvoir autoritaire.
- Il sape les fondements de la démocratie et pervertit le sens de l’espace public qu’il pense être, dans l’Occident sécularisé des Lumières, religieusement « neutre » et non pas simplement « indifférent »
Bref, l’autodafé de Stockholm n’est pas un incident anodin. Qui est donc Salwan Momika ?
- Un illuminé dangereux ?
- Un minoritaire chrétien frustré et hargneux?
- Un activiste politique radical voire nihiliste ?
- Ou peut-être, prosaïquement, une barbouze. Mais, pour le compte de qui ?
Il suffit de parcourir différents sites Internet pour comprendre que Salwan Momika est loin d’être un psychopathe qui aurait passé à l’acte dans un moment de perturbation psychologique.
Il se présente lui-même comme chef d’une milice chrétienne syriaque » Brigades d’Ali » qui avait servi de cohorte auxiliaire aux multiples mouvements armés chiites contrôlés par les Pasdarans iraniens, au sein de la nébuleuse Al Hashd al Sha’bi (Mobilisation Populaire) qui a mis à feu et à sang l’Irak, à l’image du Hezbollah au Liban. Les Brigades d’Ali sont en conflit avec une autre milice chrétienne pro-iranienne, la Brigade Babylone. Cette dernière est en conflit avec le Cardinal Louis Sako, chef de l’Église chaldéenne, fermement opposé à toute milice au sein de sa communauté. Momika aurait fui l’Irak suite aux rivalités sanglantes entre les Brigades d’Ali et la Brigade de Babylone. Réfugié en Suède, sous prétexte de persécution par des » islamistes « , il adhère au Parti Démocrate et se révèle un ardent prosélyte des » valeurs suédoises » dont une laïcité radicale qu’il confond avec l’athéisme. Son geste blasphématoire est annoncé au nom de » valeurs occidentales « , et non en vertu d’un sectarisme chrétien. Il proclame vouloir lutter contre une arme redoutable, en l’occurrence un livre sacré.
- Bref, tout le discours de Momika sert à brouiller les pistes. Son geste blasphématoire est une pierre qui permet de marquer plusieurs coups politiques.
- Noircir l’image de l’Islam (majoritairement sunnite)
- Saper les efforts du Cardinal Sako en Irak en matière de fraternité humaine, couronnés par le voyage du Pape en Mésopotamie.
- Forcer les chrétiens en Orient à se replier, de manière défensive, sur eux-mêmes sous la bonne garde d’un » protecteur « . Il suffit de penser au Liban et à la Syrie et au projet d’alliance des minorités.
Le geste de Momika n’est pas nécessairement celui d’un illuminé. Tout son discours, défendant des valeurs occidentales » athées « , résonne comme un écho au quiproquo oriental musulman qui confond, hélas, laïcité et athéisme ; et qui ne réalise pas la différence entre « neutralité religieuse » de l’espace public et « indifférence religieuse » du même concept.
Bref, le jeune Salwan Momika aurait le profil d’une barbouze chrétienne qui, à l’image de toutes les cohortes auxiliaires pro-iraniennes de l’Orient, est au service des Mollahs de Téhéran. Les Mollahs auraient-ils ainsi marqué un coup à Stockholm?
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