(Des passants attroupés devant un restaurant à Essen (Allemagne) où une rixe collective a éclaté entre Libanais et Syriens, le vendredi 16 juin 2023. Capture d’écran)
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Ralph Ghadban, chercheur d’origine libanaise et spécialiste des « Arabisches clans » en Allemagne, explique à L’OLJ qui sont les personnes et les clans impliqués dans des affrontements violents à Essen.
Tables cassées dans un restaurant, cris, hurlements, et panique générale vendredi dernier dans une rue d’Essen, ville de l’ouest de l’Allemagne. Des vidéos tournées sur les lieux montrent des affrontements violents entre des dizaines de Libanais et de Syriens appartenant à des familles rivales, lors d’une rixe collective qui a impliqué environ 80 personnes et fait plusieurs blessés, selon l’agence officielle allemande DPA. La police allemande a retrouvé sur les lieux des barres de fer et des couteaux.
Derrière cet incident, des Mhallamis, Kurdes majoritairement sunnites, originaires du sud de la Turquie et ayant émigré au Liban en 1930 avant de se rendre en Allemagne, et qui forment aujourd’hui les « clans » libanais actifs dans le trafic de drogue, le vol, l’extorsion, la prostitution et le blanchiment d’argent à Berlin, Francfort, Brême et Essen, selon le chercheur d’origine libanaise Ralph Ghadban, un fin connaisseur des « Arabisches clans » (clans arabes) en Allemagne. En face, des clans syriens, arrivés plus tardivement en Allemagne, dont de nombreuses familles de Deir ez-Zor, dans l’est de la Syrie.
Ralph Ghadban explique à L’Orient-Le Jour les origines de ces clans rivaux et les enjeux politiques et économiques qui les opposent.
Des heurts entre clans libanais et syriens comme ceux auxquels nous avons assisté à Essen sont-ils inédits ? Ou bien s’agit-il d’incidents récurrents entre familles rivales ?
Des incidents similaires ont lieu depuis plusieurs années entre Libanais et Syriens, depuis que ces derniers ont commencé à arriver en Allemagne. Naturellement, les Syriens se sont installés dans des régions où il y avait des populations d’origine arabe, ce qui a donné lieu à une concurrence au niveau des rentrées financières, notamment celles issues de la drogue, entre Libanais et Syriens. Les problèmes entre familles rivales ne sont donc pas nouveaux, mais ce qui est inédit, c’est l’ampleur de l’incident survenu vendredi dernier à Essen. Nous n’avions jamais assisté avant à un tel affrontement.
Ces heurts ont eu lieu entre une famille kurde du Liban (plus spécifiquement des Mhallamis, ndlr) et un clan syrien de Deir ez-Zor. L’incident a pris des proportions énormes, et des dizaines de Libanais sunnites et chiites à Essen ont volé au secours de la famille kurde.
La version officielle est qu’il s’agit d’un problème relié à une querelle entre des enfants des deux clans qui a dégénéré en affrontements. Mais selon la version officieuse, les violences ont commencé après que des Syriens ont harcelé une femme kurde. Il s’agit d’une question d’honneur pour ces familles, voilà pourquoi la bagarre a rapidement dérapé.
Y a-t-il des enjeux politiques et économiques dans ces rivalités claniques et familiales ?
Les Kurdes du Liban (en Allemagne) sont des alliés du Hezbollah, ce qui explique pourquoi des chiites à Essen ont volé à leur secours. De même pour les sunnites libanais, car les Syriens sont également leurs concurrents, que ce soit pour les restaurants ou les magasins de nourriture arabe. De même, la vente de drogue était principalement aux mains de Libanais, mais les Syriens sont en train de s’immiscer dans ce trafic.
Je pense que la rixe de vendredi continuera d’avoir des répercussions et pourrait s’étendre à d’autres villes. Dès le lendemain de l’incident, des Syriens ont saccagé un commerce appartenant à un Kurde. En guise de représailles, des Libanais ont alors attaqué un restaurant syrien. Les deux groupes sont très remontés et la tension est toujours vive.
Quels sont les clans arabes les plus connus en Allemagne ?
Les grandes familles Mhallamis sont bien connues des autorités, leurs noms circulent parmi les policiers allemands. Mais on voit émerger dernièrement des clans originaires de Deir ez-Zor, dont certains travaillent comme passeurs vers l’Allemagne et s’en vantent dans certaines vidéos publiées en ligne. Ces passeurs peuvent parfois toucher jusqu’à 10.000 dollars par migrant.
Auparavant, les Mhallamis participaient dans une certaine mesure à la facilitation de l’entrée des migrants en Europe. Mais ils ont été détrônés par les Syriens, qui sont mieux placés géographiquement sur la route des migrations clandestines.
A leur arrivée en Allemagne, les Mhallamis ont commencé à pratiquer l’extorsion et à imposer des taxes illégales. Ils ont fait la Une dans ce pays en 2019, après le vol de bijoux et de pierres précieuses dans un musée de Dresde, capitale de la Saxe.