Depuis novembre 2022, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) connaît une réorganisation interne sans précédent pour mettre en place un modèle intégré, associant analyse, technique et action.
Cela ressemble à de la sociologie administrative ennuyeuse, c’est en fait une petite révolution de palais au cœur des services secrets français.
Entrée en vigueur le 1er novembre 2022, la réorganisation intervenue au sein de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a bouleversé les équilibres internes et cassé des baronnies qui structuraient cette institution depuis près de quarante ans. Elle a entraîné un important jeu de chaises musicales dans le monde du renseignement français et concentré le pouvoir entre les mains de la direction générale du service, actuellement occupée par le diplomate Bernard Emié. Elle a, enfin, réduit en miettes l’idée d’une agence technique du renseignement autonome, à l’instar de l’Agence de sécurité nationale (NSA) américaine.
Cette réforme, annoncée au cœur de l’été 2022, a conduit à la disparition de la direction phare de la DGSE, celle du renseignement (DR). Marc Pimond, nommé à sa tête en 2016, représentait un véritable contre-pouvoir interne. Expert du monde arabe, il a été nommé à d’autres fonctions hors de France. Ses résultats contestés sur le terrain africain, où Paris n’a pas su anticiper les crises politiques au Mali et les vagues de ressentiment envers la France, notamment au Burkina-Faso, ne l’ont sans doute pas aidé à défendre la survie de ce bastion.
De même, le risque de guerre en Ukraine aurait été sous-évalué. En réponse, ses troupes arguent qu’on leur a assigné comme priorité la lutte contre les réseaux djihadistes et que nombre d’agents en poste dans la sphère russe avaient rejoint le dispositif DGSE au Sahel.
Améliorer la circulation de l’information
Mais derrière la disparition de la direction du renseignement, c’est aussi une certaine culture du secret qui semble avoir été stigmatisée. L’organisation très cloisonnée et verticale qui prévalait à la DGSE, structurée en directions commandées par des mandarins veillant jalousement sur leur pré carré, paraît avoir vécu.
« On peut se demander, en effet, résume un haut fonctionnaire du renseignement, acceptant de s’exprimer sous le couvert de l’anonymat, quand le cloisonnement de l’information sert l’action du pays et quand il sert votre seul pouvoir administratif. De plus, des analystes faisaient la même chose au sein de la direction technique et du renseignement sans le savoir. »
Pascal Mailhos, nommé, le 11 janvier, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), en remplacement de Laurent Nunez, comme l’avait révélé Le Monde, devrait aussi contribuer à améliorer la circulation de l’information au sein du monde de l’espionnage.
Décision a donc été prise de dissoudre non seulement la direction du renseignement mais aussi celle de la stratégie et d’associer leurs membres à ceux venant des directions techniques et des opérations au sein d’une demi-douzaine de « centres de missions » consacrés à des zones géographiques ou à des thématiques transversales. L’un d’entre eux est ainsi concentré sur les questions de contre-terrorisme, un autre sur la lutte contre la prolifération des armes nucléaires et chimiques. On retrouve également la région du Sahel en tant que telle. Le mot d’ordre est au partage de l’information et aux équipes mixtes.
Une forme d’autonomie
Les directions coopéraient jusque-là, mais au coup par coup. En juin 2016, devant les élèves de l’école d’ingénieurs Centrale Supélec, Bernard Barbier, chef de la direction technique de la DGSE de 2006 à 2013, avait expliqué comment il avait réussi à « convaincre le service “action” de travailler avec [s]a direction lors d’une première opération conjointe » en juillet 2010 sur une équipe qui voulait faire sauter l’ambassade de France à Nouakchott, en Mauritanie. « C’était une vraie révolution au sein de la DGSE », analysait-il.
Les centres de missions disposeront donc d’une forme d’autonomie. Pour le reste de la production de la DGSE, un poste de secrétaire général de la DGSE a été créé pour centraliser l’information et gérer les relations avec les institutions destinataires du travail de l’espionnage français. Les ressources humaines, la formation, les achats, les finances, les affaires immobilières et le soutien logistique restent assumés par la direction de l’administration. C’est elle qui gère, notamment, le projet de déménagement du siège de la DGSE de l’ancienne caserne Mortier, à l’est de Paris, au Château de Vincennes.
La direction de la recherche et des opérations, qui héberge le service action, bras armé clandestin de l’Etat français à l’étranger, dont le principe a toujours été « l’autonomie opérationnelle complète », doit désormais composer avec les autres directions de la DGSE. Seule vraie rescapée de cette réforme radicale, la direction technique, qui absorbe la plus grande part du budget et du personnel de la maison, se voit adjoindre la mission recherche et développement, appelée « innovation ».
Néanmoins, le rapprochement des agents de la direction technique avec d’autres directions sonne le glas de toute émancipation au sein d’une agence technique de renseignement autonome, idée défendue depuis des années par des caciques de l’espionnage.
La France conforte donc son modèle intégré, associant analyse, technique et action, alors que les Anglo-Saxons ont préféré séparer les tâches. Le directeur technique de la DGSE, Patrick Pailloux, a choisi de partir mi-2022 après huit ans de service. Cet ingénieur de haut niveau, qui a montré son intérêt pour la mise en adéquation du droit et de la surveillance d’Etat, a intégré le Conseil d’Etat. Il a été remplacé par Frédéric Valette, ingénieur général de l’armement qui, jusqu’ici, dirigeait la direction technique de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Création du poste de directeur général adjoint
Les pronostics pour succéder à Patrick Pailloux avaient longtemps donné Guillaume Poupard, directeur général, pendant près de neuf ans, de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), fer de lance de la cybersécurité en France. M. Pailloux occupa les mêmes fonctions avant de rejoindre la DGSE.
Mais M. Poupard, faute d’avoir décroché le poste de directeur général de l’armement, a préféré devenir, le 1er janvier, directeur général adjoint de Docaposte, la filiale numérique du groupe La Poste. Sa mission sera notamment de créer le premier véritable « cloud de confiance » en partenariat avec Dassault Systèmes, Bouygues Telecom et la Caisse des dépôts.
Enfin, Bernard Emié, patron de la DGSE, a obtenu la création du poste de directeur général adjoint, qui sera, notamment, chargé des questions de sécurité interne et du contre-espionnage. La fonction de directeur de cabinet, considéré comme le numéro deux des services secrets extérieurs, et traditionnellement confiée à un militaire, disparaît. Seul l’avenir dira si ce grand ménage permettra au renseignement français de gagner en efficacité.