(Photo prise le 8 janvier 2023 montrant l’intronisation de l’archevêque Georgios dans la cathédrale Apostlos Varnava dans la capitale chypriot)
Quand la puissante Eglise grecque-orthodoxe de Chypre a intronisé son nouveau chef ce mois-ci, un évêque s’est tenu à l’écart pour protester en silence contre un différend déclenché par la guerre menée par la Russie en Ukraine.
Neophytos de Morfou, du côté de Moscou dans le cadre du schisme ecclésiastique entre la Russie et l’Ukraine, a déclaré qu’il préférait prier seul pendant la cérémonie d’intronisation de l’archevêque Georgios.
Depuis le début de la guerre en Ukraine il y a bientôt un an, les évêques orthodoxes ukrainiens considérés comme pro-russes sont « menacés et persécutés » par les forces alliées au président Volodymyr Zelensky, a affirmé Neophytos de Morfou, connu à Chypre pour son franc-parler sur nombre de sujets controversés. Une position qui le met en désaccord avec Georgios, 73 ans, élu pour succéder à Chrysostomos II, décédé d’un cancer à 81 ans en novembre.
Ce désaccord met en lumière l’impact plus large de la guerre en Ukraine sur l’île méditerranéenne, Etat membre de l’UE qui entretient depuis longtemps des liens culturels, religieux et commerciaux étroits avec la Russie.
Chypre abrite une importante diaspora russe. L’opinion publique y est davantage pro-russe que dans presque tous les autres pays de l’UE, selon une enquête réalisée en décembre par le Parlement européen.
– « Grande influence » –
Chypre a toutefois adopté l’ensemble des sanctions de l’UE contre Moscou et cessé les vols directs avec la Russie, tout en accueillant de nombreux réfugiés ukrainiens.
« L’élection du nouvel archevêque est importante pour Chypre », relève le théologien Theodoros Kyriakou. Car l’Eglise exerce une influence majeure sur le gouvernement chypriote, dont l’autorité s’exerce sur les deux tiers sud de l’île. L’autre tiers, autoproclamé République turque de Chypre-Nord (RTCN), est reconnu par la seule Turquie qui l’occupe depuis la guerre de 1974.
L’Eglise de Chypre conserve une forte influence conservatrice sur la vie sociale et politique et représente un acteur économique majeur, avec de vastes propriétés foncières et des participations dans le secteur des boissons et bancaire, notamment.
Les principaux dirigeants politiques et militaires de Chypre ont assisté en masse à l’intronisation de Georgios le 8 janvier dans la capitale Nicosie. Mais le patriarche russe Kirill, proche soutien du président Vladimir Poutine, n’a envoyé aucun représentant officiel.
Les relations sont glaciales depuis que l’Eglise chypriote s’est rangée en 2020, avant même le début de la guerre, du côté de la nouvelle Eglise orthodoxe d’Ukraine, reconnue par le patriarche de Constantinople Bartholomée, le plus prestigieux dignitaire des Eglises orthodoxes.
Le conflit russo-ukrainien a provoqué à la fois un examen de conscience et une discorde au sein du haut clergé chypriote. En novembre, l’évêque Isaias de Tamasos, naguère fervent partisan de la Russie, a déclaré à la radio d’Etat que sa « position avait changé après la première bombe tombée en Ukraine ».
Pour sa part, Georgios a soutenu son prédécesseur au sujet de l’Ukraine et souligné l’autorité de Bartholomée, mais il a déclaré vouloir rétablir l’harmonie au sein de la famille orthodoxe.
– « Un vrai problème » –
Le théologien et ancien membre du Parlement européen Andreas Pitsillides a déclaré à la radio Politis que « le défunt archevêque avait constitué une équipe d’ecclésiastiques au sein du Saint-Synode qui partageait sa position sur plusieurs sujets, notamment la question ukrainienne ».
Les tensions avec la Russie pourraient avoir un impact majeur sur l’île dans les domaines religieux, politique et économique, a déclaré Achilleas Demetriades, avocat et candidat indépendant à la présidentielle de février à Chypre.
En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la Russie pourrait bloquer le renouvellement de la force de maintien de la paix de l’ONU qui patrouille le long de la Ligne verte qui divise l’île, a observé M. Demetriades.
« La Russie est un gros problème pour Chypre, en particulier pour l’application des sanctions de l’UE, car cela affecte les affaires », a-t-il déclaré à l’AFP.
Désormais, dit-il, les investissements russes affluent dans la RTCN, faute de sanctions imposées par la Turquie, contrairement à l’UE: « C’est un vrai problème ».