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En Algérie, la Bataille de l’après-Bouteflika a Commencé

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Gagner du temps. C’est le principal souci du régime algérien alors que le pays tourne en rond, engagé dans une impasse comme il en a rarement connue. Les Algériens, eux, retiennent leur souffle, réduits à des supputations. Qui dirige l’Algérie ? Qui va succéder à Abdelaziz Bouteflika, dont personne n’imagine qu’il ira jusqu’au bout de son quatrième mandat, en 2019 ? Mystère. Pour l’heure, les Algériens « sont dans une grande colère », comme le souligne le sociologue Nacer Djabi, enseignant à l’université d’Alger.

La vacance du pouvoir – énergiquement niée par l’entourage du chef de l’Etat – exaspère et inquiète. L’élite se dit « humiliée » par ce quatrième mandat effectué par un homme gravement malade, à partir de son lit, de son fauteuil roulant ou de l’hôpital. Dans les campagnes, et surtout chez les femmes, le jugement est moins sévère. Ce président affaibli inspire de la compassion. Certains le voient encore comme un rempart contre les menaces extérieures et s’effraient de sa prochaine disparition. Et puis, il y a l’argent distribué. Le pouvoir prodigue des subsides à tout va, pour calmer les esprits, quitte à encourager la culture de l’émeute et à vider les caisses de l’Etat.

Climat de suspicion aigu

L’inquiétude et le mal-être sont pourtant les sentiments les mieux partagés en Algérie aujourd’hui. Le pouvoir joue de cette anxiété généralisée, sur le thème de « Bouteflika ou le chaos ». La situation en Libye et au Sahel préoccupe tout le monde. En revanche, la guerre menée par la coalition internationale contre l’Etat islamique est observée avec méfiance. Le groupe djihadiste est vu comme une invention des Occidentaux. Dans ce climat de suspicion aigu, la France est accusée de nombreux maux. On la soupçonne d’avoir favorisé le 4e mandat, voire d’avoir des visées sur le Sahara algérien… « Bouteflika, ça vous arrange. En échange de son maintien, vous obtenez des marchés », entend-on dire avec rancœur. Détail significatif du climat anxiogène : dans leur majorité, les propos sont tenus sous le couvert de l’anonymat… L’atmosphère est délétère. On se méfie : personne ne sait ce que sera demain. Les gens n’ont qu’une certitude : cette situation ne va pas durer. Il va se passer quelque chose, mais quoi ?

« C’est triste à dire, mais on attend que Boutef meure. Seul son décès peut débloquer la situation. Le calme qui prévaut est trompeur. Cela peut déraper à tous moments », avertit un universitaire. Pour lui, l’Algérie se retrouve dans la situation du film Kagemusha, du cinéaste japonais Kurosawa. « On remplace un mort par son sosie et on transporte un palanquin pendant des années, histoire de faire croire au peuple que le défunt est toujours en fonction », résume-t-il. Si Abdelaziz Bouteflika a été reconduit à la présidence de la République en avril, après quinze ans de pouvoir, c’était par défaut. Les « décideurs » algériens – armée et Département du renseignement et de la sécurité (DRS) – n’avaient pas réussi à s’entendre sur un candidat. Ont-ils désormais un scénario en poche ? Rien n’est moins sûr. Des noms circulent pourtant, tous originaires de l’Ouest, ou plus exactement de Tlemcen, la région de Bouteflika, ouvertement privilégiée.

Pour l’heure, l’homme fort du pays est Saïd Bouteflika, le frère cadet du président. Le parrain. Chacun redoute ses colères et craint de tomber en disgrâce. Lui seul, ou presque, a accès au chef de l’Etat. Autrefois tout-puissant, mais désormais amoindri par les manœuvres répétées de Bouteflika, le général Mohamed Mediène (dit « Toufik »), patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), a dû avaler sa rancœur et faire du frère cadet un interlocuteur. « Au DRS, on a longtemps tenu Saïd pour négligeable, mais on a changé d’avis en le voyant se comporter en vrai stratège », confie un familier des services de sécurité. L’armée, de son côté, est tenue en main par un proche du président, le général Gaïd Salah. Peu populaire, ce chef d’état-major a vu sa réputation très entachée par les fuites de WikiLeaks, le désignant comme l’un des militaires les plus corrompus d’Algérie. Depuis qu’il est à la tête de l’Armée nationale populaire (ANP), de nouvelles têtes ont été promues, toutes de l’Ouest. D’autres ont été écartées ou mises à la retraite anticipée. Bien que Gaïd Salah et Mohamed Mediène entretiennent des rapports exécrables, il ne faut pas s’y tromper : « sitôt Bouteflika décédé, l’armée et le DRS se réconcilieront pour désigner un successeur », comme l’assure un homme politique.

Maintenir le statu quo

Saïd, le frère cadet, pourrait-il être adoubé par les décideurs ? Présentée comme loufoque autrefois, cette hypothèse n’est pas à écarter. « Mais pour qu’elle ait du crédit, il faudrait qu’Abdelaziz Bouteflika aille jusqu’au bout de son mandat, ou presque, fait remarquer le politologue Rachid Grim. Alors, Said, auréolé de son expérience de conseiller à la présidence, pourrait prétendre à ce poste. » En revanche, si Abdelaziz Bouteflika disparaissait dans les prochains jours, cette option serait plus difficile à mettre en œuvre. Selon toute vraisemblance, un homme de paille serait alors retenu. Quelqu’un « du clan », de préférence de l’Ouest. Les liens du sol à défaut des liens du sang… Sa mission : maintenir le statu quo, tout en protégeant la famille (au sens élargi) et la fortune qu’elle a amassée depuis quinze ans. Les décideurs peuvent aussi choisir un apparatchik de confiance, tels Abdelmalek Sellal, le premier ministre, Tayeb Belaiz, le ministre de l’intérieur, ou encore Ahmed Ouyahia, ancien chef de gouvernement. Abdelghani Hamel, le chef de la police, faisait partie des favoris jusqu’à ce que ses troupes se révoltent, fin octobre, et qu’elles viennent manifester sous les grilles de la présidence.

En dépit de cet incroyable immobilisme que les autorités algériennes présentent à l’extérieur comme « un modèle de stabilité », les choses bougent. Fait inimaginable il y a encore un an : l’opposition s’est fédérée. En juin, une Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) a vu le jour. Elle rassemble laïcs et islamistes. Les ennemis jurés d’hier se retrouvent côte à côte. Mohcen Bellabes du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) discute avec Abderrezak Makri, du Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamiste). Plus inattendu encore : deux personnalités du Front islamique de salut (FIS, dissous) ont rejoint cette coalition. « La situation devenait si friable que nous avons voulu offrir une alternative crédible, en cas d’effondrement rapide du régime. Pour cela, nous devions engager le dialogue avant tout événement grave, pas après », explique Sofiane Djilali, du parti Jil Jadid (Nouvelle Génération), le principal initiateur de la CNLTD.

« On s’est dit : cela ne sert à rien d’entrer en compétition, puisqu’il n’y a pas d’élections libres. Alors, travaillons ensemble pour l’instauration des libertés et de la démocratie, et reportons nos programmes respectifs à plus tard », confirme l’islamiste Abderrezak Makri. Des personnalités ont rejoint la coalition, parmi lesquelles les anciens chefs de gouvernement Ahmed Benbitour et Ali Benflis, ou encore l’avocat Ali Yahia Abdenour. Mouloud Hamrouche, l’ancien chef de gouvernement réformateur, en est proche, lui aussi, mais il garde ses distances, sans doute pour ne pas braquer les décideurs. Car, même affaiblis, ces hommes de l’ombre sont toujours là. Pour s’installer à la présidence, même de façon temporaire, le successeur de Bouteflika devra composer avec eux. Qui sera l’« homme de la transition » ? Mouloud Hamrouche se verrait sans doute bien occuper ce poste. Ali Benflis, aussi. Et d’autres encore, plus jeunes, qui estiment que leur heure est venue. Mais, quel qu’il soit, ce successeur provisoire pourra-t-il se faire entendre d’un peuple démoralisé, et qui ne croit plus en rien ?

Le Monde

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