Paris sauve la face de l’Arabie saoudite en exfiltrant Saad Hariri

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La présidence libanaise a annoncé que le premier ministre démissionnaire, arrivé samedi à Paris, sera de retour au Liban mercredi prochain pour la fête de l’indépendance.

 Par Marc Semo et Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)

L’acte I du feuilleton Hariri est terminé. Le premier ministre démissionnaire libanais Saad Hariri et sa famille sont arrivés samedi matin 18 novembre à Paris, en provenance de Riyad, conformément à l’arrangement conclu mercredi entre Emmanuel Macron et Mohammed Ben Salman, l’homme fort du royaume saoudien. Le président français devait ouvrir, samedi, un nouveau chapitre dans cette saga pleine de mystères, en recevant le dirigeant libanais en tête-à-tête, puis en partageant avec lui et ses proches un déjeuner à l’Elysée.

L’avenir politique de Saad Hariri et sa capacité ou non à récupérer son siège de premier ministre, inconnue majeure de cette nouvelle phase, devaient figurer au menu des discussions. Vendredi, en marge d’un sommet européen à Göteborg, en Suède, Emmanuel Macron a déclaré que le chef du Courant du futur avait vocation à rentrer dans son pays « dans les jours, les semaines qui viennent ».

Pour la diplomatie française, absente depuis longtemps du Proche-Orient, l’exfiltration de M. Hariri d’Arabie saoudite, où la plupart des Libanais le considéraient « captif », constitue un succès. L’initiative de Paris, qualifiée de « deus ex machina » par le quotidien libanais L’Orient-Le Jour, a permis d’extraire M. Hariri d’une situation délicate, tout en offrant une porte de sortie aux Saoudiens, qui s’étaient placés eux-mêmes dans une situation intenable.

« Retour de la diplomatie française »

Un retour direct à Beyrouth du chef du gouvernement, même pour remettre formellement sa démission au président Michel Aoun, aurait constitué un camouflet pour Riyad. « Macron a très bien joué, il a fait baisser la tension au Liban, tout en protégeant les Saoudiens de l’opprobre international », fait valoir un homme d’affaires occidental installé dans le royaume.

Depuis son élection, le président français, qui ne cesse de mettre en avant sa volonté « de parler à tout le monde », cherche à jouer un rôle de médiateur international. Un rôle que la France a déjà joué dans le monde arabo-musulman, où, contrairement aux Etats-Unis, elle entretient des relations avec tous les acteurs de poids, y compris l’Iran et le Hezbollah, le mouvement chiite libanais pro-Téhéran.

Les deux seules initiatives lancées jusque-là dans cette région par le chef de l’Etat n’avaient guère été couronnées de succès : l’accord en dix points, fruit de sa rencontre, en juillet, avec les deux frères ennemis de la Libye, Faïez Sarraj, le chef du gouvernement « d’union nationale », et le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est, peine à se concrétiser ; et ses efforts pour créer un groupe de contact sur la Syrie sont mort-nés. « L’arrivée de Saad Hariri à Paris marque le retour de la diplomatie française au Proche-Orient », se félicite Ali Mourad, professeur de droit public à l’Université arabe de Beyrouth.

Cette percée est aussi due à la proximité du ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avec bon nombre de dirigeants de la région, dont l’homme fort des Emirats arabes unis, Mohammed Ben Zayed, surnommé « MBZ », et son alter ego saoudien Mohammed Ben Salman, alias « MBS ». Des relations qu’il a nouées pendant ses cinq années au ministère de la défense, sous la présidence de François Hollande, au prix d’une indifférence quasi complète aux méthodes très répressives que ces deux autocrates emploient en interne.

Dès l’annonce par Saad Hariri de sa démission surprise, le 4 novembre, depuis Riyad, les autorités françaises avaient exprimé leur préoccupation. Imputé à l’Iran et au Hezbollah, accusés de semer la destruction au Proche-Orient, ce geste attisait la tension entre les géants iranien et saoudien. Les inquiétudes de l’Elysée étaient d’autant plus grandes qu’en dépit des dénégations saoudiennes, Saad Hariri, quasiment injoignable, paraissait privé d’une grande partie de sa liberté. Chantage à l’inculpation dans l’opération anticorruption lancée au même moment dans le royaume ? Pressions sur sa famille ? Les spéculations sur ce qui avait pu inciter Saad Hariri à jeter l’éponge allaient bon train, tant à Beyrouth que dans les capitales arabes et occidentales.

Les efforts de l’Elysée pour trouver une solution ont commencé à porter leurs fruits, mercredi 8 novembre au soir, dans la capitale des Emirats arabes unis. Pendant son dîner avec Emmanuel Macron, consécutif à l’inauguration du Louvre Abu Dhabi, MBZ a décroché son téléphone et obtenu pour son hôte un rendez-vous le lendemain avec MBS. « Mohammed Ben Zayed a une vision très fine de ce qui se passe en Arabie saoudite et sa proximité avec le prince héritier [saoudien] n’est un secret pour personne », expliqua le lendemain le président français.

Depuis plusieurs semaines déjà, le cabinet de M. Macron s’activait pour organiser une rencontre avec le très puissant fils du roi Salman, âgé de 32 ans. Dans l’esprit du chef de l’Etat, celle-ci devait intervenir avant le déplacement qu’il souhaite effectuer à Téhéran, pour tenter de sauver l’accord sur le nucléaire de juillet 2015, menacé par l’administration Trump. Un voyage qui ne peut qu’irriter Riyad, ravi des coups de boutoir du président américain. Il était donc indispensable de conforter au préalable le lien stratégique franco-saoudien.

« Tentation hégémonique » de l’Iran

L’entretien de trois heures entre les deux trentenaires, à l’aéroport de Riyad, porta principalement sur le Liban et le sort de Saad Hariri. Quelques heures plus tôt, ce dernier avait reçu l’ambassadeur de France, François Gouyette, dans sa villa de Riyad. Dans les jours suivants, le président Macron eut deux autres conversations avec MBS, par téléphone. Lundi 13 novembre, au lendemain de l’interview de M. Hariri à la télévision libanaise, au cours de laquelle il s’était dit « libre » tout en faisant montre d’une grande fébrilité, la présidence française évoqua un possible recours devant l’ONU.

Un message destiné évidemment à faire pression sur Riyad. « Au Conseil de sécurité des Nations unies, c’est la France qui tient la plume lorsqu’il s’agit du Liban », rappelle une source élyséenne. Message reçu : mercredi en fin d’après midi, depuis Bonn, Emmanuel Macron annonçait avoir invité le premier ministre libanais à Paris. Jeudi, lors d’une rencontre avec MBS à Riyad, Jean-Yves Le Drian peaufinait le compromis. En échange du geste saoudien, le ministre français des affaires étrangères a renoncé, dans l’immédiat, à la visite qu’il devait effectuer à Téhéran la semaine prochaine pour préparer celle du chef de l’État.

Lors de sa conférence de presse à Riyad, le chef de la diplomatie française a haussé le ton contre Téhéran, dont il a dénoncé « la tentation hégémonique ». En réaction, le ministère iranien des affaires étrangères a dénoncé « le regard partial » de la France, qui « volontairement ou involontairement, aide à transformer des crises potentielles en crises réelles ».

Et après ? Emmanuel Macron a insisté sur le fait que M. Hariri n’entame pas un exil à Paris. Selon le chef de la diplomatie libanaise, Gebran Bassil, il pourrait revenir à Beyrouth dès vendredi prochain. Maintenant que sa liberté est garantie, les responsables politiques locaux sont pressés de l’entendre s’exprimer sur sa démission, que le président Michel Aoun a refusée jusque-là.

Samedi matin, la présidence libanaise a annoncé que M. Hariri sera de retour au Liban mercredi 22 novembre pour la fête de l’indépendance. « Le président [Michel] Aoun a reçu ce matin un appel téléphonique de M. Hariri l’informant qu’il se rendra au Liban pour participer à la célébration de la Fête de l’indépendance », a fait savoir la présidence, précisant également que M. Hariri participerait « notamment au défilé militaire » traditionnel.

Comme il l’a esquissé dans son interview du 12 novembre, M. Hariri pourrait revenir sur son retrait du pouvoir mais exiger en retour un geste du Hezbollah, son encombrant partenaire de gouvernement. Il pourrait également confirmer sa démission, en réitérant le discours anti-iranien qu’il avait initialement tenu, et s’éclipser, pour un temps au moins, de la scène politiquelibanaise. Dans les deux cas, les questions de fond, éclipsées par les manigances saoudiennes, risquent de revenir sur le devant de la scène. Et de ranimer la discorde entre partis libanais, mise en sourdine depuis deux semaines.

LE MONDE   

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