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Égypte : la terrible vengeance de l’EI contre les Bédouins soufis

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La tribu décimée par l’attentat de vendredi (325 morts) s’était ralliée aux autorités pour combattre Daech dans le Nord-Sinaï.

PROCHE-ORIENT Les victimes ont dû être enterrées dans des fosses communes tant elles étaient nombreuses. Trois jours après l’attaque meurtrière de la mosquée soufie d’al-Radwah, un petit village à l’ouest d’el-Arish, le bilan est effroyable : 325 morts et 128 blessés. C’est l’attentat le plus grave de l’histoire récente de l’Égypte. Les témoignages sont insoutenables : ils racontent comment après une première explosion, des hommes masqués et armés de mitraillettes ont traqué les fidèles pour les abattre durant plus de 40 minutes.

L’attaque n’a pas été revendiquée mais des faisceaux d’indication – le modus operandi et la cible : une mosquée soufie portent les soupçons sur l’organisation État islamique (EI). Selon l’idéologie de l’EI, le soufisme, branche hétérodoxe de l’islam est une apostasie et une idolâtrie. « Cela en fait non seulement une “cible légitime”, mais aussi une cible préférée en accord avec la stratégie employée par l’EI contre les courants islamiques rivaux dans d’autres pays, par exemple les chiites en Irak », assure Oded Berkowitz, directeur régional du renseignement et analyste pour MAX Security. Il y voit la signature de Wilayat Sinaï, groupe issu de l’insurrection locale qui a prêté allégeance à l’EI à l’été 2014. En novembre 2016, dans sa lettre de propagande al-Nabaa, le commandant de la « police de la moralité » de la branche égyptienne de l’organisation assurait que la « priorité absolue était de combattre les manifestations du polythéisme, y compris le soufisme ». Une volonté de nouveau exprimée dans le magazine Rumiyah n°5, paru en janvier dernier qui présentait alRawdah comme l’une des zones prioritaires à éradiquer.

Mais cantonner l’analyse de cette attaque au simple prisme de l’idéologie religieuse serait une erreur. Le raid terroriste avait aussi une visée purement stratégique et propagandiste. Si la très large majorité des victimes sont issues de la même mouvance religieuse, l’attentat a surtout eu lieu dans la zone tribale des Sawarka, des Bédouins dont la chefferie a récemment annoncé son ralliement aux forces de sécurité égyptiennes dans la lutte antiEI. « C’est une vengeance, ils nous haïssent », assure Moamar Sawarka, membre de cette tribu et défenseur des droits de l’homme.

En mai dernier, Musa al-Dalah, le chef des Tarabin, groupe le plus important et puissant du Nord-Sinaï, a lancé un appel sur sa page Facebook pour encourager l’ensemble des tribus à faire front contre Wilayat Sinaï. Un appui rapidement suivi par d’autres Bédouins, dont les Sawarka.

Pour les experts, ce ralliement n’était pas patriotique, il était surtout opportuniste. Il relevait, selon eux, d’une volonté de se venger des militants de l’EI après une période de bonne entente. « Lorsque Wilayat Sinaï s’est implanté, la relation avec les tribus était globalement bonne car basée principalement sur une haine mutuelle du gouvernement », explique Oded Berkowitz. « Avec l’arrivée de l’EI, les trafics de contrebande sont devenus florissants, cela a contribué à séduire certains membres de tribus. » Une information confirmée par Moamar Sawarka, qui reconnaît que sa propre tribu a été, plus que d’autres, « affectée par les idées du Hamas et par les mouvements islamistes », parce qu’elle est composée « de marchands impliqués dans des trafics avec Gaza et Israël et subit des influences extérieures ». Mais à la mi-2015, l’EI interdit le trafic de cigarettes, considéré comme « péché », coupant les revenus de nombreux contrebandiers. Ces derniers s’y opposent en montant une armée:  la Fédération tribale du Sinaï. La milice lance des actions contre Wilayat Sinaï. Certaines sont autonomes, d’autres réalisées en collaboration avec l’armée égyptienne. Une initiative punie par Wilayat Sinaï par la décapitation de plusieurs femmes bédouines en représailles.

Les Sawarka ont alors choisi d’affirmer leur changement de camp. Ils se sont engagés aux côtés du régime égyptien pour mater l’EI, arguant que « la tribu avait une longue histoire de collaboration avec l’armée égyptienne ». Une volte-face qu’elle a payée par le sang vendredi. Au lendemain de l’attaque qui a touché en quasi-totalité des membres des Sawarka, l’union des tribus du Sinaï a assuré qu’il fallait « défendre la sécurité des habitants » et « se venger des agresseurs ». Mais les tribus, au nombre de 25 dans le Sinaï, peuvent-elles effectivement s’allier ? « Elles ne sont pas homogènes », souligne Oded Berkowitz. « Elles ont une structure solide et une loyauté interne, mais ne forment pas un front uni. » Selon le communiqué, plusieurs chefs de tribu se seraient néanmoins déjà mis d’accord. Ils demandent que les Bédouins puissent s’occuper personnellement de la traque des djihadistes et les juger par leur propre moyen, sans l’aval des forces de sécurité.

Il est peu probable que l’armée accepte de leur laisser le champ libre. Les relations entre les militaires et les Bédouins restent très tendues et marquées par une forte défiance. Les Bédouins anti-EI disposent pourtant d’atouts pour venir à bout de l’insurrection comme, par exemple, leur parfaite connaissance du terrain. Depuis plusieurs semaines, ils demandent aux forces de l’armée égyptienne de leur laisser une marge de manoeuvre plus importante pour faire face aux djihadistes. « Nous pouvons nous débarrasser de Wilayat Sinaï. Même sans être armé, nous sommes la clef du renseignement, nous sommes en mesure de trouver où ils se cachent », assure Moamar Sawarka.

Le Figaro

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