Despotisme Démocratique

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Monsieur Donald Trump a donc été démocratiquement élu au suffrage universel indirect comme président de la première puissance du monde, les Etat Unis d’Amérique. La surprise est mondiale tant la personnalité du nouveau président américain a dérouté les observateurs durant la campagne électorale.

On ne peut s’empêcher d’évoquer, à l’occasion de ces élections américaines, la naissance de la démocratie à Athènes, grâce aux réformes de Clisthène en 507 avant JC. Cet aristocrate, désespérant de pouvoir l’emporter contre Isagoras avec l’appui de la seule aristocratie, se tourna vers le peuple qu’il attacha à son parti. Et c’est ainsi qu’avec le soutien du « démos » que Clisthène put l’emporter contre son rival. Ceci lui permit d’entreprendre ses célèbres réformes et d’instituer la démocratie athénienne que nous admirons jusqu’à aujourd’hui.

Dans la bataille électorale américaine, c’est Bernie Sanders qui ressemble le plus à Clisthène. Et pourtant, le parti démocrate lui préféra une figure de l’aristocratie qu’on appelle establishment : Hillary Clinton. Entre Hillary-Isagoras et Bernie-Clisthène, le parti démocrate commit l’erreur fatale de négliger le peuple et ses préoccupations, si on en croit les observateurs, en lui préférant le politiquement-correct de l’aristocratique establishment.

C’est, semble-t-il, ce qui pava la voie au succès de la campagne de Trump, de type populiste et démagogique, qui n’est pas sans rappeler le démagogue Cléon qu’évoque Aristote : « Après la mort de Périclès, le chef … du parti démocratique fut Cléon qui paraît avoir corrompu le peuple par ses emportements et qui, le premier, a déversé à la tribune des débordements d’injures tout en se débraillant ». D’où la réflexion ironique d’Aristophane : « La conduite du peuple n’est pas le fait d’un homme instruit ; cela demande un ignorant et un coquin ». Cette règle est universellement valable, en tout temps et en tout lieu.

Et pourtant les résultats sont là. Le suffrage universel, fut-il indirect, s’est prononcé. Le peuple américain a fait son choix. On peut regretter un tel résultat mais on se doit de respecter la volonté populaire. La démocratie moderne, et son suffrage universel, n’est pas très vieille. On rappellera qu’au lendemain de la Première Guerre Mondiale, les nations européennes étaient saisies par les fièvres révolutionnaires, populistes, totalitaires et/ou fascistes et c’est l’Amérique du Président Wilson qui parviendra à faire pencher la balance en faveur de la libre volonté des peuples et du système démocratique.

Viciée, crevée de scories, guettée par les dérives populistes, la démocratie demeure le moins mauvais des régimes voire parfois le pire, étant donné que la tyrannie ne mérite pas d’être appelée « régime politique ». La démocratie n’est pas synonyme de république ; cette dernière renvoie avant tout à l’objet du pouvoir politique : le bien commun. La démocratie donne un contenu à la république et désigne le peuple comme titulaire de ce pouvoir. Sur ce registre particulier, elle est fondée sur l’égalité des riches et des pauvres. Il y a là une forme de sagesse que la pensée grecque a saisie : en matière de vérité, l’opinion de tout un chacun peut faire l’affaire. Périclès avait parfaitement compris que le peuple (demos) était capable de faire des choix raisonnables. Mais le peuple/demos n’est pas synonyme de foule/masse, confusion fréquemment opérée aujourd’hui.

La foule, ou la masse, implique des meneurs, des individus charismatiques qui, selon Serge Moscovici, sont la réunion de deux figures fantasmatiques : la père fondateur et le fils héroïque. Cela se traduit par les « partis » qui sont, à la fois, les églises et les armées de l’âge des foules que nous vivons. Le Hezbollah libanais en est un exemple illustratif, et son modèle risque d’être contagieux.

C’est pourquoi une vigilance particulière doit être constamment exercée par le peuple, ou communauté politique, afin de ne pas se laisser prendre au piège de la massification des foules. Cette vigilance doit veiller sur trois règles fondamentales :

  • Le respect de la Constitution car sans cela on pave la voie à tous les débordements arbitraires. La démocratie est d’abord une constitution, sinon elle se réduit à un mode de vie.
  • La protection de la liberté de pensée, de parole et de circulation de l’information.
  • La protection de la liberté d’association.

Alexis de Tocqueville, dans son De la Démocratie en Amérique (1840), donne à la démocratie un sens strictement socio-politique et entrevoit, en visionnaire, les conséquences lointaines de ce système, qu’il qualifie de « tyrannie douce » ou de despotisme démocratique :

« Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres  […] s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. […]Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, prévoyant, régulier et doux. […]il aime que les citoyens se réjouissent pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre… ».

Entre la tyrannie douce du despotisme démocratique et la tyrannie apocalyptique des populismes totalitaires, les élites ont le devoir moral de veiller à la protection des trois règles que nous énonçons : Constitution ; Liberté de parole ; Liberté d’association. De Platon à Tocqueville, ce sont là les trois remèdes préventifs contre les dangers inhérents à la démocratie.

acourban@gmail.com

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