Après l’État-nation ?

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Elle commence mal l’année 2017. Rien n’indique qu’elle finira mieux, au contraire cela risque d’empirer tant la haine est devenu l’agent premier du rapport des groupes entre eux. J’utilise le vocable « groupe » en lieu et place de « peuple » vu sa connotation identitaire plus marquée. Un peuple se distingue, au moins, par un lien aussi ténu soit-il de citoyenneté et de patriotisme partagés même si les citoyens participent à la lutte démocratique pour le pouvoir à travers la confrontation de partis politiques rivaux mais non ennemis. Le groupe renvoie plutôt à une sorte d’hégémonie identitaire en son sein vu son caractère sectaire, ethnique ou racial qu’on pourrait résumer par le vocable de la propagande nazie de jadis : völkish.

Si on s’attarde sur le langage de la propagande hitlérienne, on s’aperçoit que plus d’un concept de jadis est aujourd’hui remis en circulation avec une légère modification sémantique. « Umvorkung » ou conversion ethnique exprime une sorte de peur collective. Ceci va de pair avec le présupposé « Überfremdung » pour dire la panique face à la souillure d’une identité collective par celle d’un groupe étranger. Ainsi, au Liban, l’afflux massif de réfugiés syriens est perçu comme dangereusement « überfremdung » pour un certain ordre «völkish », fait d’un équilibre démographique instable et incertain, établi entre groupes religieux divers sur base de recensements qui remontent à l’âge où Henry Ford inventait la Ford-T.

On peut mettre en parallèle avec ceci les expressions actuelles de « protection des Chrétiens d’Orient », ou « SOS Chrétiens d’Orient », ou encore « les droits des Chrétiens » ; sans oublier leurs équivalents musulmans sunnites ou chiites : « les plus honorables des hommes », « les plus vertueux des humains », etc … Les monothéismes n’arrivent pas à se libérer de ce couple encombrant formé par deux concepts parallèles : élection-exclusion. Si on est convaincu d’être l’élu de Dieu, tous les autres sont forcément des exclus. Une telle vision met l’individu à la merci de l’arbitraire de la volonté du groupe. Un regard rapide sur la situation libanaise permet de saisir la toute-puissance néfaste d’une telle situation.

Après des années de blocage et de vide institutionnels, après des torrents d’imprécations haineuses, ou carrément racistes, contre une partie importante du peuple libanais et des peuples arabes, on doit s’estimer satisfait de voir que les institutions constitutionnelles ont repris vie. Nous avons un président de la république et un gouvernement. Bientôt nous aurons un nouveau parlement. Les formes extérieures sont sauves même si certaines figures arrivées au pouvoir demeurent problématiques. Mais ceci n’a aucune importance car ces hommes et ces femmes ne détiennent aucun pouvoir politique. Ils ne gouvernent pas, ils gèrent. Le vrai pouvoir est accaparé par une oligarchie occulte, tribale et ploutocratique pour ne pas dire mafieuse, qui prétend résumer à elle seule l’ensemble des composantes du peuple libanais.

Jamais l’influence des partis, qui n’ont de politique que le nom, n’aura été aussi dévastatrice et n’aura hypothéqué autant la vie publique. Le concept même de démocratie ou de régime parlementaire, voire celui d’Etat de droit, se retrouve remis en cause. Le peuple souverain est quadrillé en confessions. Chacune de ces confessions est l’otage d’un ou deux partis pseudo-politiques. Ces partis forment des masses lourdes, des corps inertes s’exprimant d’une seule voix, celle du chef. Toute la vie publique, depuis les échelons de l’Administration jusqu’aux hautes fonctions des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, est tributaire de l’appareil de ces partis oligo-ploutocratiques identitaires. Inutile d’évoquer le détournement du service public par ces mêmes forces de facto. Rien n’est aussi malsain, rien n’est aussi pervers ; rien n’est aussi contraire à l’esprit même du message « Liban » dont on se gargarise jusqu’à l’indigestion.

Une coquille vide … entre les mains d’un pouvoir occulte ; voilà ce qu’est devenu l’Etat-Nation et ses institutions. Vous avez dit Constitution ? Bof …. Un texte qu’on peut interpréter à sa guise et en fonction, non de la recherche du bien commun mais de l’intérêt factieux.

Dans ces conditions, décentraliser l’Etat paraît extrêmement périlleux tant l’Etat central est affaibli et tant il est devenu inconsistant. On ne décentralise pas ce qui est déjà désarticulé. On pourrait poursuivre le processus de délitement général de l’Etat jusqu’à la Cité-Etat ou un ensemble de Cités-Etats, comme dans l’Antiquité. On pourrait espérer, alors, pouvoir doter chacune d’elle d’une constitution digne de ce nom qui pourrait au moins assurer la survie de ce qui caractérise les villes méditerranéennes depuis toujours : leur pluralité, leur prospérité et leur ouverture cosmopolite.

Dans les conditions actuelles, envisager une réforme de la loi électorale sur base de l’adoption de la proportionnelle serait hautement risqué. La proportionnelle est mortelle, dans ce cas, car elle ne ferait qu’accentuer l’anomalie actuelle, à savoir la mainmise de forces autoproclamées identitaires, appelées partis, sur la vie publique. L’Etat-Nation est mort, il faut savoir en tirer les conséquences. Il ne ressuscitera pas par la proportionnelle. Au contraire, cette dernière renforcera les pouvoirs de l’oligarchie ploutocratique actuelle. La sagesse citoyenne voudrait qu’on puisse se rabattre vers la circonscription la plus petite possible : le scrutin majoritaire uninominal qui, en principe, limiterait les dégâts en freinant la gloutonnerie de la ploutocratie confessionnelle.

acourban@gmail.com

*Beyrouth

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