Syrie : dans la province d’Idlib, les hôpitaux pris pour cible

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LE MONDE|Par Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)

Malgré l’accord d’Astana, signé début mai par Moscou, Ankara et Téhéran, les équipes médicales redoutent de nouvelles frappes.

Dans la province d’Idlib, l’un des derniers bastions de l’opposition syrienne, les hôpitaux ont été si souvent pris pour cible par les avions syriens ou russes que les habitants « craignent l’installation ou la réhabilitation d’une structure médicale près de chez eux. Certains, même, s’y opposent », affirme Abdel Hamid Dabbak, un chirurgien syrien qui supervise l’accès aux soins dans cette région du nord-ouest du pays. « Les gens ont peur d’être la cible de bombardements plus intenses. » En avril, neuf centres de santé ont été pilonnés dans la zone d’Idlib, parfois à plusieurs reprises, selon le Syrian Institute for Justice, une ONG proche de l’opposition, basée en Turquie. Avec pour résultat d’être mis hors service ou lourdement endommagés.

« Les dernières attaques d’hôpitaux ont eu lieu dans le sud de la région d’Idlib et dans le nord de la province de Hama : c’est là que se trouve la ligne de front [entre rebelles et régime], explique Massimiliano Rebaudengo, chef de mission de Médecins sans frontières (MSF) pour le nord de la Syrie. Il y a une simultanéité entre les combats et les frappes aériennes. Les hôpitaux et les civils doivent être protégés. » Le ciblage délibéré des hôpitaux, qu’ils accueillent des combattants ou des civils, est considéré comme un crime de guerre selon le droit international humanitaire.

450 assauts

L’accord d’Astana, signé début mai par Moscou, Ankara et Téhéran, a apporté un répit dans le bombardement de la province d’Idlib. Ce territoire fait partie des quatre « zones de désescalade » établies par l’accord : les combats et les frappes aériennes doivent y être suspendus. Malgré l’accalmie, les équipes médicales redoutent de nouvelles frappes.

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« Depuis plusieurs années, les forces gouvernementales poursuivent une stratégie systématique : détruire le système de santé dans les zones contrôlées par l’opposition, souligne Massimiliano Rebaudengo, basé en Turquie. Dans la région d’Idlib, les frappes aériennes avaient diminué à la fin de l’année 2016, car le régime était concentré sur Alep. Quelques semaines plus tard, les attaques repartaient. » Selon Physicians for Human Rights, plus de 450 assauts ont visé des centres de soins depuis le début de la guerre en Syrie. La plupart sont attribués par l’ONG américaine aux forces de Damas et de Moscou. Outre les victimes parmi les patients, ces attaques ont coûté la vie à près de 800 professionnels de la santé.

Les pilonnages à répétition ont rendu l’accès aux soins de plus en plus difficile pour les civils. Le ciblage du système sanitaire est d’autant plus dramatique que les services dans la région d’Idlib sont déjà soumis à une forte pression : la province compte plus de 2 millions d’habitants, dont près de la moitié sont des déplacés internes. S’y ajoutent des milliers de personnes évacuées de localités reprises par le régime depuis près d’un an. Une grande partie des civils dépend de l’aide humanitaire, y compris ceux massés dans des camps près de la frontière turque, une zone jugée plus sûre.

Comme à Alep, où les centres de santé avaient été bombardés par les forces prorégime lorsque les combattants anti-Assad tenaient l’est de la ville, les civils ont peur de se rendre dans un hôpital. « Des femmes préfèrent accoucher chez elles, malgré les risques encourus, rapporte le docteur Dabbak, chirurgien orthopédiste habitué à pratiquer des actes n’ayant rien à voir avec sa spécialité, faute de personnel disponible. Nous renvoyons les patients chez eux dès que nous les avons opérés, pour qu’ils ne risquent pas d’être tuésàl’hôpital. »

Logistique coûteuse

Par mesure de sécurité, des cliniques sont installées en sous-sol dans la zone d’Idlib : cela n’a pas empêché qu’une d’entre elles soit bombardée en avril. A la suite des dernières attaques, des médecins syriens ont lancé une campagne de levée de fonds pour développer des hôpitaux en sous-sol et les rendre plus sûrs. Autre tentative pour parer au danger, des équipes médicales « maintiennent les soins d’urgence près des zones de combats [moins exposées aux bombardements aériens], tout en essayant de décentraliser d’autres services. Mais ce n’est pas systématique : c’est coûteux et compliqué comme logistique », détaille M. Rebaudengo.

La région d’Idlib reste d’autant plus exposée aux frappes que les formations djihadistes, à commencer par l’ex-Front Al-Nosra, pilier de la coalition Tahrir Al-Cham et l’une des forces les plus puissantes dans cette province, sont exclues de l’accord d’Astana. Ces combattants rejettent d’ailleurs son application, et ont menacé les factions non djihadistes qui le respecteraient, laissant planer le spectre de nouveaux affrontements entre groupes de l’opposition dans le nord de la Syrie.

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